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Almost Heathen

Almost Heathen

Karma To Burn

par Emmanuel Chirache le 28 juin 2011

4,5

Paru en 2001, réédité en 2008 (Spitfire Records)

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Difficile de se débarrasser de l’équation stoner = Kyuss + QOTSA. Vu son succès commercial quasi nul et le peu de très grandes formations qu’il a engendrées, on est en droit de se demander dans quelle mesure le stoner se définit comme un genre à part entière et si sa contribution à l’histoire du rock ne se limite pas aux groupes mentionnés. Ce serait toutefois compter sans Karma To Burn, combo totalement atypique qu’il faut absolument redécouvrir aujourd’hui. En effet les Karma To Burn avaient presque tout pour prendre la place laissée vacante par les pionniers Kyuss, défricheurs géniaux sabordés par un Josh Homme désireux d’aller de l’avant. Ils avaient un nom en K, une attitude, un goût prononcé pour les psychotropes mais surtout ils possédaient un son... et quel son ! de quoi tester des enceintes JBL chez un vendeur de chaînes hi-fi. Ils avaient les riffs aussi, arides et psychédéliques, sauvages et démentiels. Ils eurent même durant quelques mois le chanteur de Kyuss en personne, John Garcia, qui enregistra une poignée de morceaux avec eux. Pour un résultat décevant. « Il sonnait beaucoup trop heavy, raconta par la suite le bassiste Rich Mullins, c’était comme si on avait Ronnie James Dio au chant. En plus, il avait un problème avec le côté sudiste de notre musique. John est né et a vécu sur la côte ouest, et la vie est un peu plus exubérante là-bas. » Car il manquait tout de même quelque chose aux Karma To Burn. Ces types originaires de Virginie occidentale faisaient du "desert rock" sans désert ! Pas de quoi s’offusquer non plus. Après tout, on peut aussi faire du stoner à Garges les Gonesses...

Mais la principale difficulté du groupe restera pendant longtemps la quête d’un chanteur. Quand le label Roadrunner les signe dès 1995, le line-up n’en comporte aucun. La maison de disques croit en eux mais réclame à cor et à cri que quelqu’un tienne le micro, sans quoi elle ne publiera pas d’album. N’importe qui ferait l’affaire. N’importe qui sera donc engagé pendant deux ou trois ans jusqu’au licenciement des Karma To Burn par Roadrunner un peu plus tard. Qu’à cela ne tienne, le trio (Will Mecum à la guitare, Rich Mullins à la basse et Rob Oswald à la batterie) peut alors s’épancher dans la formule instrumentale qui lui tient tant à cœur. En découleront deux albums, Wild, Wonderful Purgatory en 1999 et Almost Heathen en 2001. Ce dernier vient d’être réédité à deux mille exemplaires par Metal Mind, un label polonais. De quoi mettre les points sur les i. Comme dans "tuerie", "riff apocalyptique", "précision millimétrée" ou encore "missile balistique". Bien sûr les Karma To Burn n’inventent rien avec ce disque, Garcia, Homme et consorts sont déjà passés par là, pourtant ils incarnent avec bonheur l’essence du stoner, cette science infuse de la ligne de guitare parfaite alliée aux climats sous acides les plus redoutables qui soient. Tout de suite, l’auditeur néophyte voudra remuer la tête au rythme des accords et des coups de caisse claire, étonné devant autant d’imagination. La dernière fois qu’il a entendu des riffs de cet acabit remonte sans doute à Songs For The Deaf... sorti un an après Almost Heathen ! A cet égard, la chanson titre du Queens Of The Stone Age ressemble un peu à l’introduction du monstrueux Thirty Four de cet opus.

Oui, les titres des chansons de Karma To Burn portent toutes un numéro. Une façon catégorique d’affirmer que l’art du groupe se construit autour de la musique, et de la musique seulement. Un retour aux fondamentaux, en quelque sorte. Dans un premier temps, l’absence de chanteur peut troubler nos sens et perturber notre perception. Bouleverser nos codes esthétiques tellement habitués à entendre un organe humain vociférer. "Merde alors, ça dépote. Mais quand est-ce qu’il chante ?" s’interroge-t-on. Puis le temps fait son office et les chansons pénètrent notre sensibilité d’une façon nouvelle, originale, surprenante. La musique des Karma To Burn se vit sur le mode du manque (de voix), au gré de la tension qui en résulte et accapare notre esprit tout entier. Certes, nous aimerions savoir ce que deviendraient ces morceaux si un chant venait s’y joindre. Pourtant, chaque titre se suffit à lui-même et fait de l’inachèvement sa raison d’être. L’oreille peut enfin se laisser aller sans interférence à l’écoute appliquée des instruments et se délecter de la puissance brute dégagée par le groupe. Il faut écouter le fantastique Nineteen pour constater les déflagrations sonores que peuvent engendrer trois simples musiciens. Idem avec l’atomique Thirty Four, le sautillant Thirty Nine ou le génial Thirty Six - surtout ne pas manquer le break démentiel vers 3’04" et sa batterie jouissive. Et que dire des splendides Thirty Nine et Five ? A chaque fois, tout coule de source. Écrire des riffs parfaits semble d’une facilité déconcertante pour le guitariste Will Mecum, comme une seconde nature.

Disque accrocheur, déroutant, percutant et à la production chiadée, Almost Heathen n’a finalement pas grand chose à envier à Welcome To Sky Valley ou Songs For The Deaf. En tout cas pas les compositions ni l’énergie. En revanche, il est évident que le caractère instrumental des deux derniers albums du groupe l’a cantonné aux marges du public rock en général et stoner en particulier. Aujourd’hui, Karma To Burn n’existe plus. C’est donc le moment ou jamais pour redécouvrir l’œuvre de cette formation unique en se précipitant sur leurs rééditions, là, maintenant, tout de suite. Nous l’avons dit, deux mille exemplaires seulement de Almost Heathen sont mis en vente. Mon disque porte le numéro 166. Il n’est pas à vendre, mais dites toujours un prix...

Article initialement paru le 11 novembre 2008.



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Tracklisting :
 
1. Nineteen (4’01")
2. Thirty Eight (5’50")
3. Thirty Four (4’12")
4. Thirty Seven (5’19")
5. Thirty Nine (5’34")
6. Thirty Six (4’28")
7. Thirty Three (4’50")
8. Thirty Five (5’14")
9. Five (4’50")
10. Forty (3’39")
 
Bonustracks :
 
11. One (4’08")*
12. Three (3’55")*
13. Twenty Two (5’27")*
14. Seven (3’01")*
15. Eight (4’04")*
16. Six (4’16")*
* live Dynamo Festival 1997 –
 
Durée totale :48’00"

Karma To Burn

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