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par Béatrice le 27 mars 2007
Arcade Fire, oui, vous savez, ce groupe montréalais qui aurait, paraît-il, sauvé le rock en deux albums, dont le dernier serait d’ailleurs sorti il y a à peine une poignée de semaines, me confie-t-on dans l’oreillette, et même qu’il s’appellerait Neon Bible - avec l’autorisation posthume de John Kennedy Toole qui détient la paternité du titre, oui, ceux-là même, les Arcade Fire dont le nom semble s’être incrusté dans la brise qui ne veut plus le lâcher, sans pour autant avoir déterminé s’il fallait ou non l’affubler d’un "The" ; Arcade Fire, donc, a décidé de passer par l’Olympia (nous tenons ici le scoop du siècle et vous en bouchons un coin, n’est-ce pas ?), et, c’est étrange, pour un groupe adulé de toutes parts et n’ayant pas pointé le nez en France depuis près d’un an et demi, l’a rempli en deux heures. Forcément, à ce stade, le rockologue snob qui sommeille au plus profond de nous se réveille, s’insurge, et se prend d’une envie frénétique et irrésistible de dire que non, Arcade Fire, c’est pas bien, c’est que de la hype, d’abord, et puis arrêtez de me fatiguer avec ces histoires de sauveurs du rock, non mais vraiment, et puis qu’est-ce que c’est que cette lubie de sauver le rock, encore ? Comme si y avait pas des choses plus urgentes à sauver que le rock, par exemple, je sais pas moi, le rhinocéros borgne du Bengale, la méduse tricolore de l’archipel du Vanuatu, ou l’ornithorynque roux du Groenland ?! Ce à quoi il n’est même pas nécessaire de répondre à coups de massue, Arcade Fire se chargeant très bien d’assommer pour nous les rockologues snobs et bornés qui ne se réveillent que pour râler, et ce, en employant des instruments beaucoup plus subtils et efficaces que la massue ; la seule difficulté réside dans le traînage du rockologue au concert d’Arcade Fire, mais elle est assez facilement surmontée, étant donné que ce flemmard passe le plus clair de son temps à sommeiller en nous.
Trêve de considérations triviales, vous l’aurez compris, la rédactrice de cet article a délibérément fait le choix d’abandonner lâchement toute forme d’objectivité et de se livrer à une apologie inconsidérée (mais pas injustifiée) du groupe et de ses (enfin, de sa) performance scénique et à un éloge en bonne et due forme. Le problème des Bibles, qu’elles soient de papier ou de néon, est en effet qu’elles ont une forte propension à convertir les pêcheurs en prêcheurs. Évidemment, elles n’y arrivent pas à tous les coups, mais force est de reconnaître que cela leur est plus facile lorsque les colporteurs de la Sainte Parole savent se montrer aussi convaincants que persuasifs, ce qui aura bel et bien été le cas des missionnaires de l’ordre de l’Immaculé Néon, Saint Éclaireur Biblique.
Mais commençons par le commencement, à savoir (non, pas la Création, ni le Péché Originel, la pseudo-métaphore religieuse foireuse est déjà allé assez loin) la première partie, qui mérite d’être mentionnée, car les néons sont censés éclairer et non faire de l’ombre. La première partie, donc, a été octroyée aux quatre anglaises d’Electrelane, qui vont assurer leur office avec brio, en triturants sans avoir l’air d’y toucher des morceaux élastiques parés de voix angéliques. Mia Clarke, la guitariste au visage de poupée de porcelaine, malmène sa guitare d’une main aussi impassible qu’impitoyable, sa froide cruauté envers les ondes sonores semblant croître à mesure que le set progresse, s’amplifie et conquiert les décibels à l’applaudimètre. Les demoiselles s’envolent sur leur petit nuage noisy, qui s’épaissit, s’épaissit, s’épaissit, jusqu’à les recouvrir complètement, ce dont elles profiteront pour disparaître avec élégance.
À peine le groupe parti, une armée de roadies et autres techniciens vient s’affairer sur les planches à installer, accorder, préparer les multiples instruments des multiples multi-instrumentistes qui s’apprêtent à investir la scène ; inutile de préciser que cela prend un certain temps (multi- puissance trois, ça commence à faire vraiment beaucoup). Du coup, la voix-off de l’Olympia, qui est quelqu’une de très gentille et attentionnée, s’empresse de déclarer à qui daigne l’écouter que "l’Olympia offre vingt minutes d’entracte" (qui en dureront plutôt trente) à ses clients, qui pourront ainsi à loisir contempler les cuirs chevelus de leurs voisins trop grands, se faire bousculer et compresser par les fans empressés de s’approcher de la scène, beugler quand l’impatience se fera trop pressante, et jouer à "Où est Charlie ?" grandeur nature, car qui dit concert hype à l’Olympia, dit personnalités hype dans l’Olympia ; on peut assis se payer le luxe d’attraper un torticolis en jetant des coup d’œil à droite et à gauche pour dénicher Cali, Pascal Nègre, Emilie Simon ou Syd Matters, ce qui est une occupation comme une autre, quand on n’a pas grand chose à faire. Le rockologue snob qui sommeillait profite de ses derniers instants pour râler de bon cœur, et décréter qu’être dans la même pièce que Pascal Nègre, sans fusil en plus, c’est pas classe, et peut se préparer à se prendre une baffe en plein dans sa tronche, parce que la scène est parée, et la lumière ne va pas tarder à s’éteindre.
Et donc, la lumière s’éteint, et plonge la masse fébrile dans une obscurité à peine tamisée par le halo rougeâtre que dégagent les quelques néons (certains en forme de Bible, d’autres simplement pointés vers le plafond) savamment dispersés sur la scène. On s’attend à une entrée en fanfare, à un truc magistral, des notes majestueuses qui s’élèvent de l’orgue avec pompe, quelque chose de grandiose qui, en quelques grandes embardées instrumentales et chapitres d’une épopée lumineuse, projette la musique à la face des gens et propulse du même coup les gens dans la musique, bref, on s’attend à voir Arcade Fire arriver. Eh ben non. Rien. La Bible géante continue de luire et de rougeoyer, imperturbables, avec ses petites sœurs à côté, mais rien ne bouge, pas une ombre ne se profile devant elle.
Par contre, dans un coin de la fosse, un mégaphone haut perché, quelques micro dégingandés et la tête d’une contrebasse se baladent nonchalamment. La séance préparatoire de scrutage du public aidant, on arrive à se tordre le cou de façon à y voir un peu plus clair, et à apercevoir un morceau de la rousse tignasse de Richard Parry, un bout du visage de Win Butler ou, en se contorsionnant avec application, quelques boucles de Régine Chassagne. Et le groupe de se lancer dans Wake Up, format "économie d’’énergie électrique", depuis la clairière qui s’est spontanément formée au milieu du public, pendant que deux types investissent la scène pour taper sur des tambours. On entend certes plus les "OoohooohOooh" du public que ceux du groupe, et on ne peut pas dire qu’on y voit grand chose, mais, pourquoi pas, tant qu’ils ne font pas tout leur set ici ?
On ne sait pas trop comment, le groupe finit par atterrir sur la scène, au complet, derrière ses instruments, et lancer dans Black Mirror puis Keep The Car Running qui enchantent le public. On balaye rapidement la scène du regard, ils sont dix dessus, en parfaite cohésion ; les deux premières chansons ne seront pas les plus convaincantes de la soirée, mais après tout, quitte à les jouer, mieux vaut évacuer les titres les plus faibles en début de set. En tout cas s’il était besoin de s’échauffer, c’est chose faite, car le sieur Butler est en nage dès le troisième titre, et ne se calmera pas. Le set décolle vite, s’envole, plane par moment, reprend de l’altitude, mais ne redescendra jamais sur terre. Que ce soit lorsque Régine s’empare du micro pour envoûter Haïti ou reprendre Poupée De Cire, Poupée De Son en se laissant aller à des chorégraphie de marionnette qui se serait libérée de ses fils, ou lorsqu’elle passe la main à son mari sur Black Wave/Bad Vibrations, le concert ne fait que gagner en densité et en intensité. Les musiciens se baladent, et que je passe de la contrebasse au clavier pendant que tu cèdes ta guitare au batteur et part le remplacer, et y a-t-il bien quelqu’un à l’orgue ? Tout ça prend un peu de temps entre les chansons, on le concevra aisément, temps que l’on ressent d’autant plus fortement que la musique emplit tellement l’espace qu’en son absence, on se sent perdu. Heureusement, ils sont là pour nous emporter, sans qu’on ait à se soucier de la direction, des virages, des remous et des tourments de l’Océan de Bruit qu’ils traversent ; tout ici est étrange et familier, puissant et apaisant, envoûtant et agité, maîtrisé et possédé, noir et imposant dans sa splendeur. Les vagues ne laissent pas vraiment le choix, elles entraînent loin de tout rivage connu, nous plonge au fond d’un puit avant de s’écraser contre les murs d’un phare, laminent tout sur leur passage et étoufferaient presque les tentatives de rébellion, s’il n’était pas beaucoup mieux d’avoir une salle entière pour reprendre en cœur les "Liiies ! Liiies !" du refrain, pendant que le frère de Win Butler (qui lui, s’époumone de plus belle) achève une pauvre cymbale en lui assénant furieusement des coups de mégaphone sur la tronche.
Arrive donc le moment où on se prend à souhaiter que tout ça ne s’arrête jamais, et où, justement, Win Butler annonce la dernière chanson (qui sera une Intervention un peu dépouillée de sa superbe par un orgue trop timide). On s’en remettra, il y aura un rappel. Mais le rappel sera lui-même d’aussi haute volée que la fin du concert, et donc beaucoup trop court. Même Cali en redemande. Il en re-aura, mais pas tout de suite, parce que tout de suite, les roadies sont trop heureux de pouvoir se pavaner sur la scène devant une salle déjà désengorgée (certains ont joué les vampires et disparu dès que la lumière est reparue) en ne faisant rien d’autre que balancer des setlist et des baguettes aux chiens affamés et rire de leur dispute pour un bout de papier ou un bout de bois. Ceci dit, au bout d’un quart d’heure de réclamation insistante, et puisqu’il n’y a plus rien à jeter en pâture aux fans insatiable, le groupe revient sur scène, rhabillé et ravi, demande à ce qu’on baisse la lumière, et gratifie les amateurs, encore plus ravis, d’un tour sur le siège arrière, qui, cette fois, sera bel et bien le dernier. Pas que Cali (et les autres) se soient résolus à arrêter d’applaudir, mais les vigiles ont envie d’aller se coucher, et les musiciens aussi, probablement, vu la débauche d’énergie qu’a dû être pour eux ce concert.
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