Dernière publication :
mercredi 15 avril 2015
par mot-clé
par index
par Psychedd le 13 décembre 2005
Une chanson parlant de folie au milieu d’un album qui tourne entièrement sur ce même thème, ça peut faire un peu tache...
... Sauf que, sans savoir pourquoi, Roger Waters pense à son vieux pote Syd Barrett, qu’il n’a pas vu depuis presque cinq ans. Le plus marrant c’est que cela arrive au moment où le groupe se prépare à enregistrer Dark Side Of The Moon et que, pour la première fois de leur histoire, ils vont passer hors des frontières de l’underground, pour aller voltiger dans les charts et accessoirement, les salons de millions de gens. Quitter le milieu trop fermé d’une musique « alternative », réservée à de petits groupes d’initiés, c’est un peu le souhait de Waters, mais comment ne pas oublier que ce succès grandissant, il le doit en partie à Barrett, créateur et leader de Pink Floyd avant que son cerveau ne grille, rongé par l’acide ?
Pour la première fois, Waters s’attaque frontalement à ce fantôme qu’est devenu Syd, comme pour exorciser sa mauvaise conscience. Il s’en inspire pour Brain Damage et y ajoute sa vision personnelle de la folie.
Roger a le talent d’analyser ses sentiments profonds et de les utiliser pour écrire. D’ailleurs, il est à l’époque, selon ses dires, dans une période où l’empathie devient récurrente pour lui. Même les émotions des autres l’inspirent. C’est fort ! D’autant plus que pour exprimer tout cela, Waters s’oblige à écrire des paroles délibérément simples, des chansons que tout le monde puisse comprendre. Un défi personnel poussé à l’extrême : il a tout de même la volonté d’écrire des textes universels, ce qui, il faut bien l’avouer, n’a pas vraiment l’air simple...
Ce n’est pas un nouveau morceau : comme quelques autres dans l’album, il s’agit d’une chanson composée auparavant (ici, c’est une chute de Meddle, originellement appelée The Dark Side Of The Moon) que le bassiste a ressortie des cartons et réarrangée pour les besoins de l’album. Brain Damage possède une structure intéressante : en se penchant un peu plus sur les paroles, on peut voir une évolution dans la narration : tout d’abord, Waters, en simple observateur dans le premier couplet, semble exprimer ce que tout le monde ressent à propos de la folie, ce refus de l’accepter et la peur qu’elle provoque : "Got to keep the loonies on the path" (il faut garder les fous sur le chemin).
Au deuxième couplet, il s’implique un peu plus, la folie se rapproche. Après tout, Dark Side... énumère tout ce qui peut rendre fou, tout le monde est concerné et de manière presque inévitable, tout le monde y est confronté : "The lunatic is in my hall".
Pour le refrain, Waters déploie ses talents d’auteur au style à la fois littéraire et imagé. Il parle enfin de cette face cachée de la Lune et livre son interprétation personnelle : point de père Noël ou de base extra-terrestre, c’est seulement la face cachée de notre personnalité, là où se terrent les failles, les peurs, les instincts, toutes ces choses que l’on garde dans l’ombre pour ne pas laisser son esprit sombrer. Une partie de lui-même que Roger accepte en tant que fou potentiel, comme s’il en connaissait les symptômes et les effets. Les couplets suivants deviennent alors saisissants de réalisme, impression renforcée par l’apparition de rires parfaitement effrayants.
Stade terminal de la folie, on passe de l’autre côté et en une phrase, Waters balance une définition simple mais définitive de la démence ("There’s someone in my head, but it’s not me", "il y a quelqu’un dans ma tête, mais ce n’est pas moi"), tout en faisant réellement apparaître Syd Barrett, sans la douleur que cela provoquera par la suite. Comme si Waters cherchait à se pardonner lui-même d’avoir un jour dû décider de laisser Syd sur la face cachée de la Lune, mais il n’est pas prêt de l’admettre et donne alors une excuse qui pourrait lui convenir :
"And if the band you’re in starts playing different tunes,
I’ll see you on the dark side of the moon"
("et si ton groupe commence à jouer des airs différents, je te verrai sur la face cachée de la Lune")
Sans remords ni regret, le passage de relais symbolique entre le guitariste et le bassiste s’est bien opéré. En écrivant la totalité des chansons de l’album, Waters est devenu le maître d’œuvre du Floyd, il a des idées et il compte les imposer.
Brain Damage est une étape importante car elle pose une des bases du travail à venir : le souvenir de Syd Barrett et la description toujours plus poussée de la folie, sur l’album Wish You Were Here. Puis elle va s’avérer prophétique pour Waters (devenu un brin mégalo-obsessionnel-paranoïaque) et pour le groupe, lors de la création de The Wall, où cette fois-ci, la folie sous plusieurs formes va être décrite jusqu’à une sorte de perfection. Mais sans la poésie et la touche d’humour, caractéristiques de ce petit morceau. C’est certainement le ton léger de cette chanson qui fait que l’on ne lui prête pas forcément beaucoup d’attention. Mais ses paroles sont comme un écho de certaines de nos peurs et de nos sensations. Elles expriment le plus simplement du monde un état que tout le monde connaît de près ou de loin. Elles sont si directes et si sincères que l’on y retrouve un peu de soi.
Au final, Brain Damage est d’apparence si simple qu’elle en devient complexe quand on s’interroge sur les motivations (supposées) de Waters, mais elle est surtout la preuve flagrante que l’on peut presque tout dire sur un sujet en moins de quatre minutes. C’est fou !
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |