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par Oh ! Deborah le 24 juillet 2007
paru en 1983 (Virgin)
Etrange poétesse que cette petite blonde un peu à cran, un peu révoltée, soit complètement décalée, soit parfaitement lucide. Version londonienne de son homologue mancunien John Cooper Clarke, Anne Clark quitte le lyçée à seize ans pour se consacrer à ses textes fleuves dans une solitude urbaine insoutenable, en sélectionner les phrases chocs pour bientôt les coller sur une musique kraftwerkienne ultra synthétique et devenue ringarde. Fan d’électronique de la première heure, elle en garde le plus cheap et pourtant un charme unique et grand s’en échappe. Un charme mystérieux qui rend ces beats présumés dansants, carrément frénétiques et névrosés.
C’est du à la voix d’Anne Clark, sans aucun doute. Un parlé jamais chanté, qui perce à jour les ressentis comme s’ils étaient des vérités, les recoins de notre esprit autant que ceux des avenues des métropoles qu’elle décrit. Un accent londonien de rêve, des expressions clinquantes, une élocution parfaite qui immortalise chaque syllabe de ces mots accrocheurs, poétiques, crispés, sensés, convaincants. Anne Clark instaure le bizarre, le malaise psychologique sous forme de versets existentialistes, avec notamment cette intro très lynchéenne, Contact, qui, comme son nom l’indique, entre imédiatement en relation avec notre espace vital pour l’emplir entièrement. Peut-être les deux meilleures minutes du disque, brèves mais intenses : deux couches de synthé, une voix, tellement de présence. Le doute plane, une substance qui annonce sa permanente possibilité d’être saisie.
Des somnambules traversent la ville au rythme de diverses notes glaçées et des claps robotiques de Sleeper In Metropolis. L’insignifiance des gens perdus dans la foule, la perte de l’individualité, l’anynomat d’où les rêves et les désirs ne peuvent s’échapper. Pour Anne Clark, toute vie humaine moderne est propice à la pourriture des sentiments, des contacts, du charnel, à l’abolition de la symbolique de l’amour. Son regard écoeuré identifie le marasme urbain, ses feux de lumières artificiels, "son ciel rouge", sous lequel la chanteuse sent son amour "se réduire en poudre" (Poem For A Nuclear Romance). Là où "les garçons sans cervelles" apprennent à devenir des hommes en "gerbant dans la rue", en exprimant "leur agression" pour "abattre toute forme d’expression". La décadence, la perte de contrôle. Ces gens "faisant du bruit" dans les rues, et toutes ces voix schizophrènes qui se mélangent et se heurtent (ici très bien représentées). "La nuit sortent les chasseurs, et les chassés sont toi et moi, ceux qui ont une identité".
Anne Clark se demande bien quel homme elle pourrait aimer parmi ceux qui lui semblent être des aliens. Vient alors la classique quête amoureuse. Sa critique des relations humaines défie toute conccurence, décrivant leurs dialogues futiles, retraçant leurs shémas superficiels. "Certaines veulent leurs amants emprisonnés pendant que d’autres se débrouillent très bien à l’arrière d’une voiture". Comme beaucoup de personnes ayant recours à l’art d’avant-garde, Anne Clark critique le monde qui ira avec. A la fois idéaliste et défaitiste, elle utilise sa musique pour produire les sons bruitistes de la vie ordinaire et sa poésie pour dire que celle-ci ne peut rien changer. "La musique et les mots ne veulent rien dire et ne peuvent rien à la violence de ce monde. Un poême ne peut rien guerrir, les livres ne t’aideront pas à résoudre mais à additionner les questions". Elle dénonce l’art lorsqu’il croit avoir d’autres buts que de créer. (Poets Turmoil)
Voilà pour la première moitié très synthétique de ce Changing Places, soutenu par David Harrow aux claviers. La seconde est tout autre. Avec Vini Reilly de Durutti Column à la guitare, elle ne pouvait qu’être d’une douceur planante, éthérée et mélancolique. Les textes y sont plus innocents, plus poétiques encore, enrobant superbement la langue anglaise, tout en gardant pour thèmes les rêves détériorés, l’amour morne et dangereux, la jalousie destructrice et pulsionnelle de The Last Emotion. Le désir de prendre possession du corps de l’autre, d’avoir une relation exclusive. La marque de Vini Reilly est identifiable dès la première seconde. Avec ses échos qui vont crescendos par touches cristallines. Ou ses airs de slows enivrants de romantisme (All Night Party). Des morceaux pleins de mélodies fines qui regardent la vie défiler avec errance, repli et monotonie. The Last Emotion le fait, laissant se croiser piano et guitare en firmaments.
Comme tous les autres, le second d’Anne Clark fût bien sûr totalement oublié par la critique tandis qu’elle gagna un public restreint en France et en Allemagne ainsi que la reconnaissance de nombreux artistes de l’électronique. Pour apprécier la musique d’Anne Clark, il faut avoir prit le pas sur un certain nombre de préjugés (et s’être enfilé pas mal de new wave !). Mais qu’elle soit dance, pop, cold-wave ou désuète, il s’en dégage une dimension profondément humaine, une aura personelle, un point de vue.
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