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mercredi 15 avril 2015
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par Le Daim le 14 mars 2011
Cette chanson a propulsé PJ Harvey au sommet des charts internationaux au cours de l’année 1995. Le morceau est construit sur un riff de basse saturée très groovy et hypnotique, bien mis en avant au mixage. Nous sommes, comme le suggère déjà le titre, dans des profondeurs aquatiques et troubles. L’ambiance est étouffante, fiévreuse, presque malsaine. La mélodie est réduite au strict minimum ; les paroles sont scandées selon un rythme répété.
I lost my heartUnder the bridgeTo that little girlSo much to meAnd now I moanAnd now I hollerShe’ll never knowJust what I found
(J’ai égaré mon cœur / Sous le pont / À cette petite fille / Tellement pour moi / Et maintenant je soupire / Et maintenant je braille / Elle ne saura jamais / Tout ce que j’ai trouvé)
S’agirait-il d’une sinistre histoire d’infanticide, des délires d’une psychopathe qui aurait jeté son enfant dans le ruisseau ? Non, rien n’est ici à prendre au premier degré. To Bring You My Love est un disque sur les affres d’une passion brisée : ces paroles ont bel et bien leur place dans cette thématique. Ce premier couplet évoque la transformation de la petite fille naïve, pure et innocente en une femme tourmentée. C’est sous le pont, dans la rivière, que le cœur a été perdu. Dans To Bring You My Love, l’eau est associée à la passion amoureuse ; comme elle, elle peut être limpide, rassurante, source de vie ; comme elle, elle peut devenir un irrésistible courant qui entraîne vers la destruction.
That blue-eyed girlshe said no moreAnd that blue-eyed girlbecame blue-eyed whoreDown by the waterI took her handJust like my daughterSee her again
(Cette fille aux yeux bleus / Elle a dit « plus jamais » / Et cette fille aux yeux bleus / Est devenue une putain aux yeux bleus / Sous l’eau / J’ai pris sa main / Comme ma fille / Je la reverrai)
La petite fille ne voulait plus être une petite fille, c’est ainsi qu’elle est devenue une « putain » : une femme soumise à sa propre passion et à l’être aimé, une femme avide de plaisirs charnels, une femme qui aujourd’hui serait prête à tout pour retrouver l’homme auquel elle tient et qui est parti. Dans le clip de Down By The Water, on retrouve PJ outrancièrement maquillée, visage couvert de fond de teint, yeux ornés d’interminables faux-cils et lèvres barbouillées de rouge. Elle est vêtue d’une longue robe de soie rouge qui semble presque trop lourde pour son corps famélique, et nous la voyons gesticuler et grimacer comme une pin-up tout droit sortie d’un cabaret minable des années 50, lançant à l’envie des baisers et des œillades de séductrice maladroite.
Oh, help me Jesus come through this stormI had to lose her to do her harmI heard her holler, I heard her moanMy lovely daughterI took her home
(Oh, aide-moi Jésus / Viens à travers cette tempête / Il a fallu que je la perde / Pour lui faire du mal / Je l’entend brailler / Je l’entend soupirer / ma fille bien-aimée / Je la ramènerai à la maison)
Comme souvent dans les chansons de cet album, PJ fait allusion à la Bible, ainsi que le font les bluesmen ou les chanteurs de gospel pour exprimer un désespoir tel que seule une divinité pourrait y mettre fin. PJ nomme cette partie d’elle-même douloureusement perdue sa « fille bien aimée » mais il s’agit bien de son double, perçu tel un spectre à la surface de l’eau. Un double qui comme elle « soupire » et « braille » dans la douleur de la séparation.
Little fish, big fish, swimming in the waterCome back here, man, give me my daughter
(Petit poisson, grand poisson, qui nage dans l’eau / Reviens ici, homme, rends moi ma fille)
La chanson se termine sur ces deux phrases mystérieuses, murmurées de façon presque enjouée ad lib : « little fish, big fish... ». C’est une incantation, ou peut-être une ritournelle enfantine : probablement les deux. La femme, petit poisson, poursuit l’homme en l’implorant de revenir et de lui rendre la paix et l’innocence qu’il lui a arraché.
Down By The Water, sorte de gospel perverti et technoïde, est une chanson phare de To Bring You My Love. Les arrangements autant que la voix et cette manière particulière de scander les paroles plongent l’auditeur dans une ambiance à la fois envoûtante et terrifiante. Cette atmosphère colle parfaitement à un texte schizophrénique, riche en images étranges.
Article initialement publié en 2008.
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