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mercredi 15 avril 2015
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par Yuri-G le 14 mars 2011
paru le 30 mars 2009 (Island/Universal)
Des partenaires de longue date. PJ Harvey et John Parish ne se sont jamais réellement séparés. Pas plus qu’ils ne se sont réellement retrouvés, comme on serait tenté de l’affirmer avec A Woman A Man Walked By. Lorsqu’elle cherche un nouveau souffle, elle le sollicite. Lorsqu’il écrit, il pense à elle. C’est ainsi. Cette attraction mutuelle s’étire sur déjà plus de vingt ans, avec la présence récurrente de Parish dans les disques de Polly, à la production, aux instruments, parfois en tournée. Évidemment, c’est elle qui prend la lumière. Lui reste en retrait, sans pour autant lézarder dans l’aura de sa complice (qui fût aussi son élève). En 1996, ils mettaient au point un album-duo dont les règles étaient claires : il composait, elle chantait et écrivait les textes. Dance Hall At Louse Point, volontiers porté vers l’extrême, ne disposait d’aucun frein dans la création. Désir de se pousser à bout l’un l’autre, d’aller par delà les limites, pour repartir ensuite, chacun à sa façon, fort d’un élan nouveau.
Treize ans plus tard, A Woman A Man Walked By repose sur les mêmes préceptes. Il permet à ses créateurs d’affirmer sans concession la vitalité de leurs forces. Pour Parish, renouer avec des compositions dérangées dans lesquelles il excelle. Pour Harvey, dépasser la métamorphose de White Chalk, afin de choisir entre les multiples voix s’offrant à elle. En dépit de tels enjeux, l’album n’essaie pas d’atteindre l’essentiel. Pas du tout, ses chansons sont bancales, crispées, inconfortables. Et leur force se concrétise ici-même. A Woman A Man Walked By raye de sa carte la demi-mesure et rature, non sans une certaine malice, des morceaux enfumés de mélancolie, ou saisis par la violence. Avant cela, Black Hearted Love s’offrira en appât aussi évident que possible. Électricité plantureuse, thème fort, chant clair et prenant : ce single, à la touche un peu vieille école, est peut-être le plus mémorable pour Polly depuis Stories From The City, Stories From The Sea. Il enchante par ses guitares en pics - stridence puis plongée en eau trouble -, au final par cette nonchalance ébouriffante propre à une autre décennie. Mais Black Hearted Love se referme, et son piège avec. C’était, symboliquement, la route connue à l’entrée de laquelle on reste immobile, fixant sa trajectoire familière un court instant, pour s’en détourner et emprunter un étrange sentier bordé de branches noires et pointues. Harvey et Parish s’y engagent sans hésiter et avec un sourire en coin. Neuf titres durant, ils parcourront cette aire où tout est permis.
A Woman A Man Walked By est ainsi traversé de chansons expérimentales. D’abord, on en retient surtout le mot d’ordre ("lâcher la bride") et les traits forcés, voire dispersés. Mais peu à peu, l’album se révèle en une sorte de métaphore filée. Une possession qui s’éclaire en nous. Par delà les différentes atmosphères, l’expérimentation selon les règles du duo reste toujours connectée à des racines : le blues, le folk, l’Amérique. On ressent cet héritage dans l’instrumentation (banjo déglingué sur Sixteen, Fifteen, Fourteen, harmonium sur April...), dans les textes et l’incarnation vocale de Polly. Entre ses mains et celles de Parish, ce folklore dérape. Il est rattrapé par des sons appuyés, par des images délétères. Pour le pousser dans de pareils retranchements, John Parish déploie son singulier savoir-faire d’arrangeur et de compositeur. Il joue presque tout sur l’album, et peut autant basculer du côté de la mélodie soudaine que de la brutalité sardonique. Il guide les sonorités d’une manière bien particulière (clavier Wurlitzer étranglé ponctuant The Chair, basse dub déployant sa profondeur dans Passionless, Pointless), les amenant à prendre des chemins de traverse. Les sons affluent avec mystère et, possible point culminant, l’instrumental The Crow Knows Where All The Little Children Go précipitera dans un carnaval sombre, battu par une poussière ancestrale. Puisqu’ici, l’Amérique c’est le fantasme, la hantise, les personnages tourmentés.
C’est peut-être pour la faire vivre aussi singulièrement que possible, que PJ Harvey oublie toute pudeur et chante sans distance, parfois sans contrôle. Une chanson, une voix. Elle est une diva chancelante au début d’April, qui finalement renaîtra de ses cendres pour atteindre sa plus belle intonation (faisant donc de la chanson la plus émouvante de l’album). Elle est une amante brisée qui fuit la Californie pour fuir la mort. Elle aboie, elle invective. Dans la chanson-titre, elle se lance dans une harangue surréaliste. That woman man, I want his fucking ass. Quelle menace ! Encore aujourd’hui, elle sonde ce que son chant détient de fragilité ou de fureur (Pig Will Not, déchaînement de forces barbares, ne sera pas à écouter tous les jours). PJ bannit la peur de l’excès. Et cela nous laisse ébranlé. Comblé. Pour cela, on passera sur les quelques impasses de A Woman A Man Walked By. On ne le préférera pas à d’autres albums de Polly et de John, c’est possible. Mais sa vitalité pas vraiment amicale nous rappelle que d’un temps à un autre, il est important de se laisser aller dans l’obscurité. Et de grogner.
Article initialement publié le 5 mai 2009.
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