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par Oh ! Deborah le 1er juillet 2008
paru en mai 2008 (Choses Vues)
Un titre intense en caractère blanc sur fond noir, Hardtimes Killin’ Floor Blues. Pas une biographie, encore moins de la romance, juste une tranche de vie. Henri-Jean Debon, ami de Jeffrey Lee Pierce, part le filmer à Londres en 1994. Il voyait à l’avenir un projet de fiction avec Jeffrey, mais pour l’heure, il veut simplement capturer quelques images de son idole, qui, sans qu’on le sache à ce moment là, est en fin de vie. Lucky Jim, dernier album du Gun Club, était sorti un an avant. Jeffrey, qui n’a plus de contrat ni argent, erre dans son appartement londonien où trépassent quelques amis, dont Nick Cave qui lui dit qu’il ferait bien de se ressaisir.
Quand j’ai su, en mars dernier, quasiment la veille pour le lendemain, qu’une soirée Gun Club avait été organisée, où serait diffusé pour la première fois ce film, c’était comme un truc sidérant, impossible. Puis, tout le monde, assis devant l’écran aménagé dans le bar, attendait le visage de celui qui ne peut que toucher de façon inexplicable ses admirateurs, qui a changé des choses dans leur vie. Le Gun Club, ce n’est pas que du rock. C’est indéniablement un univers, une aura, belle et subjuguante. Ce document ne met pas vraiment ce coté-là en relief, chose qui passe évidemment par les concerts ou les albums. Il montre la vie ordinaire d’un homme que l’on sait extraordinaire. Il ne veut pas fasciner ni ne peut saisir les meilleurs moments de la vie artistique de Jeffrey Lee Pierce. C’est pourquoi, il est d’abord conseillé aux connaisseurs.
Des mouvements sobres et des gros plans, pas de sur-effets. Ces images sont des souvenirs. Elles ne mettent pas en scène le quotidien, elles sont le quotidien, dans lequel une personne n’a pas besoin de prouver qu’il est un personnage troublant. Jeffrey improvise à la guitare avec un ami, ne pousse pas sa voix (pourtant inouïe sur album et certains lives), et reste pensif, comme subissant, ou regardant la vie tourner. Il a sans doute connu des jours meilleurs, ou moins tristes. Mais sa présence suffit. Le visage grave et régulier, les lunettes rondes entourant ses yeux mi-clos, Jeffrey n’est plus blond, il a la santé fragile et regarde fixement devant lui. Ses silences sont justes et ses quelques rires restent en suspens dans son appartement austère, rudimentaire. Où l’on aperçoit tout au plus quelques photos de Romi Mori (ex-petite amie et bassiste de Gun Club) ainsi qu’une étagère de CDs et VHS.
Jeffrey va dans le pub du quartier, fredonne entre deux pintes, raconte qu’il a grandi avec de jeunes mexicaines effarouchées. Ou va rendre visite à sa mère venue temporairement à Londres, lui parlant de ses histoires relationnelles. Aussi, il tient un journal et tient à nous faire partager quelques passages très bien écrits d’une nouvelle ressemblant à sa propre vie. Entre temps, Jeffrey explique à la caméra comment on prend de la morphine. C’est à dire par fioles entières. Et comment on se sert d’un sabre d’officier japonais : en cas de légitime défense ou de constat de relation illégitime. Justement, ses deux japonaises viennent tout juste de le quitter, et celle avec qui il avait une relation depuis plusieurs années (Romi) est enceinte du batteur. Mais la musique reste sa raison de vivre. Chez lui, il gratte beaucoup sa guitare sèche sur des morceaux blues/country, de façon détachée, solitaire mais très spontanée.
Ainsi, on peut redécouvrir avec ce DVD les talents de Jeffrey à la guitare slide et électrique, s’éclatant sur une reprise de Hendrix (Foxy Lady) ou s’essayant à Amsterdam de Brel, façon Bowie. Et on ne peut que se réjouir de l’existence de telles images inespérées, filmées par quelqu’un qui n’eut le temps de faire plus. Jeffrey Lee Pierce allait partir sans dire au revoir deux ans plus tard. Henri-Jean Debon n’a pu regarder son propre film pendant treize ans. On le remercie de l’avoir publié.
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