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par Emmanuel Chirache le 16 janvier 2007
paru en novembre 1979 (Chiswick Records)
Bordel, pourquoi ai-je proposé à Inside Rock de chroniquer Machine Gun Etiquette des Damned ? Qu’est-ce qui m’est passé par la tête à cet instant ? Je crois que j’ai paniqué, il fallait rapidement choisir un album parmi les rééditions, alors j’ai farfouillé dans mes CD et j’ai commis l’erreur de prendre le premier qui passait, ce Machine Gun Etiquette... Entendons-nous bien, je n’ai rien contre les Damned, au contraire, c’est juste que j’ai bien peur de ne plus aimer ce disque avec la même intensité que lorsque je l’ai découvert. D’autre part, pour moi les Damned resteront esssentiellement et à jamais le groupe qui a signé New Rose, le premier single de punk anglais sorti chez le label Stiff Records en août 76. New Rose, qu’est-ce que c’est ? Le premier morceau punk, certes, mais aussi l’ultime, peut-être le plus grand, le plus fort, le plus surprenant, le plus foireux. "Is she really going out with him ?" entend-on au début de la chanson, citation extraite du The Leader Of The Pack des Shangri-La’s. Car, oui les amis, le premier 45 tours punk de l’histoire, avant Anarchy In The UK, c’est une histoire d’amour ! Après l’une des plus percutantes intros à la batterie, Dave Vanian chante l’urgence de son bonheur adolescent pendant que Brian James nous exécute l’un des riffs majeurs du siècle. Après ça, il était rigoureusement impossible de faire mieux.
Alors les Damned décident intelligemment de faire différent. À la suite d’un deuxième album raté produit par Nick Mason et d’une tournée avec T.Rex juste avant la mort de ce dernier, les Damned se séparent en 1978 pour mieux se retrouver un an plus tard. De ces retrouvailles découle Machine Gun Etiquette, l’un des sommets artistiques du groupe publié chez Chiswick Records. Pour ne pas retomber dans l’écueil de Music For Pleasure, Vanian et ses acolytes varient les styles et lorgnent vers la pop et le psychédélisme, voire la new wave tendance gothique, un filon qu’ils exploiteront avec plus ou moins de succès dans les années 80. Le tournant est d’autant bien négocié que, Brian James parti, c’est Captain Sensible (de son vrai nom Ray Burns, Captain Sensible restera hélas dans la postérité comme celui qui a commis Wot, mais si, vous savez "he said captain, I said wot", la pub pour la téléphonie mobile avec Marcel Desailly !) qui passe de la basse à la guitare dans le but de composer la plupart des titres. Jeu de chaises musicales, Algy Ward intègre l’équipe et le remplace du coup à la quatre cordes.
Pour inaugurer le disque, Love Song s’impose comme le morceau idéal, et il fut d’ailleurs le meilleur single jamais vendu par la compagnie. Le label innova pour l’occasion avec la création de quatre pochettes différentes pour le 45 tours, et surtout elle utilisa des techniques marketing à la limite de la fraude en s’arrangeant avec les disquaires et en s’aidant des fans-clubs. Toujours est-il que Love Song reste l’une des réussites commerciales et musicales du groupe. Deuxième single, avec son orgue et sa ligne de basse originale, I Just Can’t Be Happy Today s’écoute avec sympathie mais finit par casser les oreilles sur la longueur. Dernier morceau à faire l’objet d’un simple, le très bon Smash It Up contient une première partie instrumentale sobre, et une seconde très new wave avec du synthé années 80 et un petit refrain entraînant qui pourrait presque faire penser, s’il n’y avait pas les guitares, à... Lio !
Outre ces compositions de Captain faites pour le disque, on retrouve deux morceaux issus de groupes parallèles auxquels ont appartenu Captain Sensible et le batteur Rat Scabies [1], dans l’ordre King et The White Cats. Second Time Around devient ainsi Machine Gun Etiquette, chanson déjantée sur laquelle on reconnaît l’empreinte du batteur, qui frappe ses fûts à la manière de son idole Keith Moon. De son côté, Anti Pope vaut surtout pour sa longue plage de percussions qui lui évite une monotonie qui guette parfois l’album, malgré les tentatives d’appels d’air.
Le disque alterne en effet le meilleur et le moyen, que ce soit These Hands et son ambiance chapiteau et jongleurs finalement très peu convaincante, le fatiguant Liar ou encore la reprise du Looking At You du MC5, qui n’apporte pas grand chose de neuf. En revanche, il faut savourer Melody Lee et sa superbe intro au piano, et Noise Noise Noise avec son refrain de footeux qu’on verrait bien scander dans les tribunes de Old Trafford ou Anfield Road. Enfin, au-dessus du lot plane le splendide Plan 9 Channel 7, qui me fait penser aux Smiths, allez savoir pourquoi, sans doute pour la voix haut perchée style crooner décadent, et le riff génial du couplet que Johnny Marr aurait pu inventer et dont il s’est peut-être inspiré...
La réédition, hormis un son presque impeccable, propose en plus une série de trois face B et la reprise de White Rabbit de Jefferson Airplane. Cette dernière symbolise le passage du groupe d’un punk pur et dur à un punk psychédélique. Très réussie, la version des Damned confirme une intuition : la new wave et le punk doivent plus qu’on ne croit au rock psychédélique des années 60. Mais pas seulement. Le rockabilly s’invite aussi au bal via un Ballroom Blitz cent pour cent psychobilly qui surpasse aisément certaines compos de l’album et préfigure la vague Cramps. Ces derniers ont sorti cette même année le mini LP Gravest Hits, qui sera suivi du chef-d’oeuvre Songs The Lord Taught Us.
En résumé, Machine Gun Etiquette tient son rang dans les grands albums de 1979, bien qu’il contienne des instants creux et répétitifs qui montrent les limites des quatre Anglais. Pour un peu, il nous resterait presque un goût d’inachevé en bouche, mais pas de ceux qui prêtent aux oeuvres un charme unique et génial. Non, plutôt de ceux qui appellent à être complétés et enrichis, à travers des concerts ou un travail de reprise. Avis aux amateurs.
[1] Encore un sobriquet. Le véritable nom du batteur est Chris Millar. Quant au chanteur, il s’appelle en réalité David Lett. À l’époque, la plupart des musiciens punks utilisent des pseudonymes pour continuer à toucher les allocations chômage.
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