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par Emmanuel Chirache le 26 octobre 2010
Paru en 1992 (Chrysalis)
Vous le savez, les Masters of Reality font partie des causes perdues défendues par Inside Rock. Un groupe suivi par 965 fans sur Facebook (à titre de comparaison les Jonas Brothers en ont 5 millions...), ça ne fait pas vraiment le "buzz" sur la toile. Pourtant, contrairement à beaucoup de rockers en bois, les Masters of Reality représentent un véritable projet musical, incarné par Chris Goss, son leader, chanteur et guitariste. Un projet né en 1981, formulé une première fois sur laser-disc en 1988 avec une œuvre qui se présente comme un condensé moderne de "classic rock", description paradoxale d’un homme obsédé par les glorieux ancêtres mais conscient qu’on ne refait pas du Beatles trente ans après. Alors Chris s’inspire beaucoup, et ne plagie pourtant jamais.
Avec bienveillance, les critiques évoqueront donc Cream à propos du premier opus éponyme, produit à base de blues-rock puissant et heavy. Voilà qui ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd, loin de là, à tel point que le batteur Ginger Baker décide de rejoindre Chris Goss pour l’album suivant, ce Sunrise On The Sufferbus encore meilleur. Car si les débuts des Masters Of Reality avaient muri durant presque une décennie et accouché de chansons longtemps répétées, peaufinées, rabotées jusqu’à la substantifique moelle, ils n’arrivent pourtant pas au niveau de maîtrise impeccable déployé dans ce second essai. Une maîtrise foudroyante, un véritable éclair à deux cent mille volts qui vient insuffler la vie à la créature du Dr. Frankenstein/Chris Goss, c’est-à-dire un patchwork d’influences éparses recousues par les mains expertes du guitariste, aidées par la basse au scalpel de Googe et la batterie défibrillatrice de Baker.
La musique du power trio mixe en effet dans son shaker tout ce que le blues-rock et la pop a produit de meilleur dans les années 60 et 70, mais avec quelle classe et quelle originalité ! Led Zeppelin, Peter Green, Beatles, Hendrix, Bowie, Cream, sont identifiables et méconnaissables tout à la fois sur le disque. Disque hallucinant, somptueux, improbable dans son concept même à une époque grunge et rappeuse, et qui influencera cependant toute la scène stoner. C’est comme si la présence de Ginger Baker aux fûts avait transcendé Goss pour lui faire réaliser son œuvre la plus accessible, la plus aboutie, la plus mélodique. Une musique dense qui doit au blues sa transe répétitive et au heavy sa puissante amplitude, un son recentré sur la sainte trinité rock, guitare/basse/batterie, un aréopage de chansons intelligentes et passionnantes. On y trouve donc des titres rock comme le virevoltant She Got Me (When She Got Her Dress On) qui nous fait entrer dans la danse via les roulements de tambour de Baker, mais aussi le groovy J.B. Witchdance qui avance en roulant des mécaniques et l’épatant Gimme Water qui miaule les aigus d’un chat paré à griffer.
A côté de cela, l’auditeur se réjouira de ballades Paul McCartney-esque, que ce soit le délicieux Jody Sings, idéal pour la voix haute de Goss, rêvera en écoutant les envoûtants 100 Years (Of Tears on the Wind) et Rabbit One, à la verve itérative typique de l’art des Masters Of Reality, monotone et changeant tout ensemble. Car la mélodie se fait toujours douce et lente chez Chris Goss, soutenue par une production sans failles qui lui donne le bon timing et le bon accompagnement. Pour parvenir à une telle réussite, il faut aussi savoir composer, et quelle meilleure démonstration que celle offerte par Ants In The Kitchen et T.U.S.A. (grosse blague sur comment les Américains sont nuls pour faire du thé), deux pépites à la manière de, démarquant Cream avec le même génie qui voyait Glenn Gould rejouer Chopin. Au final, un album déroutant donc, sidérant par sa relecture actuelle des mythes éternels d’un rock pourtant si réactionnaire quand il s’agit de convoquer ses patriarches.
Inutile de préciser qu’il s’agit du meilleur album des Masters Of Reality. Inutile de préciser qu’il représente la matrice de toute la discographie de Queens Of The Stone Age. Inutile de préciser qu’il s’agit du disque le plus sous-estimé de ces vingt dernières années. Inutile de signaler qu’un internaute mélomane a intitulé son blog Sunrise On The Sufferbus en son honneur, et qu’une chose pareille n’arrive pas à tout le monde (non, on ne cite pas de nom). Inutile de mettre des mots sur cette pochette merveilleuse montrant un lapin qui fait de la bicyclette, réunion de deux titres de chansons, Rabbit One et Bicycle. Inutile de dire qu’on ne trouve quasiment plus l’album à moins de le télécharger. Inutile de supposer qu’Hadopi s’en fout.
Un clip improbable :
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