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par Béatrice le 13 novembre 2007
Il y a peu, on a eu droit ici à un compte-rendu de concert parisien (ce qui n’est effectivement pas denrée rare dans le coin) qui, non content de rendre compte d’un concert de John Butler Trio, rendait également compte du comportement du public dudit concert. Bref résumé pour ceux qui n’ont pas envie de lire l’article de mon collègue (mais ils devraient, si si, vraiment) : le concert était très bien, le public, par contre, moins, et surtout un peu timide. Ou, pour reprendre la référence à Bourdieu utilisée dans l’article en question, sans avoir l’air de le plagier allégrement, un peu trop "bourgeois". C’est un trait qui est souvent reproché (à tort ou à raison, ça dépend) au public parisien, dans l’ensemble relativement calme il est vrai.
Conclusion hâtive, mais tentante eut égard à la conjoncture actuelle : le rock serait-il atteint d’une grasse crise d’embourgeoisement ? On peut s’amuser à se poser la question, pourquoi pas… Pourtant, le public bourgeois n’est pas une fatalité, et les Parisiens timides ne sont pas toujours de sortie dans les salles de concert, a fortiori quand les salles de concerts, elles, ne sont pas parisiennes. Prenez, par exemple, Glasgow, qui n’a pas fait que Franz Ferdinand et enfante une quantité respectable de groupes catalogués rock (et où, donc, on peut supposer que les gens écoutent de la musique cataloguée rock). Une fois le choix arrêté sur Glasgow, prenez une salle de concert : là, il y a l’embarras du choix, il y en facilement autant qu’à Paris, peut-être même plus. Dans la salle, mettez un(e) Parisien(ne) timide, biberonné(e) aux débordements au mieux contenus, au pire inexistants, du public de la capitale française, et laissez infuser. Il y a de fortes chances pour que vous obteniez en quelques dizaines de minutes un joli choc culturel qui fera comprendre à votre cobaye pourquoi il était écrit sur son billet "Over 14s – Under 16s accompanied by adult."
D’un extrême à l’autre, ou comment passer d’un public bourgeois timoré à un public populaire expansif, ou encore la saga des publics qui ne collent pas à la musique, deuxième épisode. Derrière tout ça, perspective comparée, question : est-ce qu’un concert a besoin d’un public qui colle ? Réponse attendue dans notre cas : non, l’adhésivité du public est une notion toute relative, qui n’influence pas la qualité du concert, même si elle peut influencer la réception selon la perception que le sujet s’en fait. Démonstration, en deux parties, deux sous parties, ou à peu près (ou pas du tout).
Pour cette fois, la Parisienne timide se trouve isolée dans l’ABC, une salle à capacité moyenne en plein milieu de la rue-des-pubs-et-des-clubs du centre de Glasgow, à attendre un concert de The Coral. À un concert de The Coral, dans une salle parisienne de la même taille (Elysée Montmartre le 6 décembre, au passage, pour les Parisiens que cela intéresserait), on n’attendrait pas de vagues particulièrement violentes, parce que, même si des fois ils s’énervent un peu, dans l’ensemble, ça reste assez pop, assez calme, et assez subtil pour qu’on n’ait pas besoin de slams et remous en tout genre pour apprécier. Surtout que dans le cas qui nous intéresse, le modeste taux de remplissage de la salle au moment où la première partie monte sur scène ne laisse guère présager un bouillonnement débordant. Mais voilà, c’était sans compter sur le fait que The Coral, ici, c’est un groupe populaire, plus populaire en tout cas que leur première partie.
La première partie, remarquez, est peut-être vouée à le devenir, populaire, mais pour l’instant elle est encore toute jeune. Il s’agit d’un quatuor de Manchester répondant au doux nom de The Courteneers et, à première vue, elle a tout pour ne pas déplaire : Les Paul et Epiphone respectivement noire d’encre et écarlate, basse Rickenbacker, cheveux gentiment ébouriffés et négligence élégante pour l’apparence, voix mi-brouillonne mi-arrogante illuminée par des arpèges scintillants qui se baladent le long de refrains nerveux pour le son. Un peu handicapé par une rythmique pas reluisante de subtilité ou de nuance, le set tient fort bien la route, même si la dite route est large et plus que défrichée.
La salle a eu le temps de se remplir et accessoirement de descendre quelques bières. Elle va bientôt pouvoir épancher ses pulsions et assouvir son besoin de crier/sauter/chanter très fort/se bousculer, et s’y prépare en contemplant calmement (et depuis le bar) les zolies zimages que The Coral font projeter pour faire patienter en attendant que leur matériel soit bien installé. Et puis les lumières s’éteignent, et la foule bièrée du fond tente une manœuvre d’approche (ou, en d’autres termes, passe en force et s’installe dans les premiers rangs), et le groupe monte sur scène, et les premières notes de Who’s Gonna Find Me déchaînent l’effusion collective. Et que je hurle mon bonheur, et que je saute à gauche à droite, et que renverse ma bière sur les voisins parce que j’ai oublié que mon verre était plein, et que je chante plus fort que le chanteur. Tout le monde n’en est pas à ce degré d’enthousiasme expansif -encore heureux- mais, pour un début de concert, ça reste assez remarquable et ça ne va aller en s’arrangeant.
Bien sûr quand on va voir, au hasard, les Whites Stripes, Queens of the Stone Age, BRMC, Oasis, on n’en attend pas moins. Mais The Coral ? Ces sept gars qu’on pourrait à peine distinguer du public s’ils n’étaient pas derrière leurs instruments (et accessoirement sur une scène) ? Ce groupe qui n’a même pas besoin de s’effacer derrière ses chansons pour que celles-ci prennent le dessus et l’éclipsent ? Ces chansons qui, même lorsqu’elles s’emballent et font semblant de jouer les gros bras, restent déconcertantes de subtilité et de fragilité, toutes en ambiances changeantes et mitigées, provoquant les mêmes remous que des hymnes francs et musclés alors qu’elles en sont une parfaite antithèse ? Non, il y a quelque chose qui ne colle pas, là… The Coral sur scène, ça n’a pas besoin d’être un prétexte au défoulement pour s’apprécier ; c’est envoûtant et poignant en soi, et c’est trop délicat pour qu’on puisse se permettre de risquer d’en perdre une miette…
Ou pas ?... c’est envoûtant et poignant et subtil et délicat, c’est vrai, mais c’est aussi franchement mélodique et irrésistiblement entraînant. Si la magie opère aussi bien et s’ils peuvent se laisser disparaître autant derrière leurs chansons, c’est en bonne part parce que tout fonctionne sur une simplicité et une évidence qui parviennent à ne jamais sombrer dans le cliché et donc, à taper juste. Ça marche sur disque, ça marche encore mieux sur scène, surtout quand la setlist enchaîne les perles (mais peut-être qu’une setlist des Coral est forcément un enchaînement de perles, après tout…). Là, pendant un peu plus d’une heure, le septet nous sert sa mélancolie enjouée en une succession de chansons-averses-éclairées-par-un-soleil-timide, sur fond d’atmosphère à la fois sombre et détendue. The Coral maîtrisent désormais à la perfection l’art délicat de la chanson qui pince le cœur et titille les glandes lacrymales en même temps que les zygomatiques, et à haute dose, ce genre de chanson, ça appelle un semblant de réaction. Par exemple, hurler les paroles de Dreaming of You, quitte à casser les oreilles de son voisin qui de toute façon s’égosille de la même manière ; ou faire gicler sa bière parce qu’on a oublié qu’on ne l’avait pas finie ; ou profiter du moindre emballement rythmique ou vocal (les refrains de Bill McCai ou de Remember When, entre autres) pour sauter dans tous les sens ; ou fermer les yeux en souriant bêtement et se laisser porter (par la musique, et aussi par la foule, qu’on le veuille ou non)… Non, finalement, toute cette agitation ne va pas si mal que ça avec un concert de The Coral, même si elle rend l’expérience beaucoup plus éprouvante que prévue, même si elle dépasse parfois un peu les bornes (on se serait bien passé de la bagarre heureusement avortée par l’intervention des vigiles au milieu de Simon Diamond, ou du cassage de pieds -au propre comme au figuré- par un voisin fan éméché, il faut l’avouer). En tout cas elle ne rend pas le concert moins bon, et elle le prouve.
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