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par Yuri-G le 2 août 2011
DVD paru le 20 avril 2009 (Nonesuch/Trixie)
Ce qu’il émanait de Wilco sur scène, on en avait déjà une haute estime. Pour témoins, il y avait l’excellent double album Kicking Television : Live In Chicago, et les nombreux rapports de la folle intensité du groupe en live. On savait à quoi s’en tenir. La parution de ce DVD revenant sur une partie de leur tournée américaine en 2008, s’annonçait donc avec bienveillance, mais sans affolement. ll est pourtant le messager d’une révélation qui nous saute à la gorge. Ashes Of American Flags fait plus que confirmer le talent scénique de Wilco : il le consacre. Film en onde de choc, vision illuminée qui est peut-être celle d’un groupe appelé à devenir classique. Un de ceux qu’il faudra avoir vu dans la présente décennie, sous peine d’avoir manqué un rendez-vous fondamental.
Comment un "simple" film peut-il parvenir à imposer cette impression ? Grâce à son approche. Sa manière de filmer, d’absorber la musique de Wilco. D’un côté, certains emploient un arsenal de caméras, quadrillant la scène, montant, descendant sur grue, avec des objectifs dernier cri, pour empiler les images et forcer l’énergie, quand elle n’est pas nécessairement au rendez-vous. Mais de l’autre, on peut décider de se fier davantage au groupe, en présentant leur jeu avec épure et précision, au moyen de quelques cadrages bien répartis. Évidemment, Brendan Canty et Christoph Green ont choisi l’adéquation. Ils ont filmé Wilco sur cinq dates, à travers différents états (Oklahoma, Louisiane, Alabama...). D’une salle aux effluves de bastringue à un auditorium plus imposant, rien ne change. La même présence, fidèlement rapportée. Les six membres sur scène sont concentrés. Humblement, chacun apporte d’une façon essentielle son talent à l’édifice qui se construit tous les soirs, à chaque instant. Canty et Green captent parfaitement cette alchimie. Elle surgit quand les musiciens se partagent l’écran en une entité dévastatrice et même quand, plus souvent, ils se trouvent isolés en un plan pour mettre en valeur la grâce singulière d’un geste, la frénésie d’un mouvement, la profondeur d’un regard. Les deux réalisateurs font preuve d’une haute sensibilité, en même temps qu’ils offrent une transcription simple mais personnelle des concerts. Leurs images sont d’une qualité admirable. Les couleurs planent sur la scène en zone éclatantes. Des paysages sont immortalisés, fixés sur la route d’une salle à l’autre : soleil au crépuscule strié par des cimes d’arbres, bicoque battue de pluie avec bâche flottant au vent. C’est tout à fait l’Amérique des chansons de Wilco.
Mais ceci serait de peu de valeur s’il n’y avait la musique, évidemment. Et on a beau connaître les albums et les chansons, ce DVD les intensifient à tous les niveaux : luminosité, densité, brutalité. Wilco joue sans emphase, en parvenant pourtant à transfigurer son répertoire grâce à un équilibre constant. D’abord, les six musiciens font chacun preuve d’une technique parfaite, le son est net, sans accroc. Mais cette maîtrise n’est pas une fin en soi dont on énumérerait platement les prouesses ("oh, excellent solo, belle frappe, jolies parties de clavier"), non Dieu merci. Elle débouche éternellement sur des précipitations écrasantes, des esquisses qui deviennent panoramas. À travers ces bouleversements qui surviennent durant la plupart des titres, le groupe ressuscite un nom dans nos esprits : Television. C’est à peine croyable. On en savait Jeff Tweedy grand admirateur, mais ici il est au-delà de "sonner comme". Wilco se réapproprie cette esthétique de la splendeur embrouillée, faite d’arabesques de guitares un peu salies sur les bords mais nettement miraculeuses, en laquelle excellaient Tom Verlaine et son groupe.
Dès son entrée en matière éponyme, la jolie trame dorée et alanguie d’Ashes Of American Flags se porte vers l’apesanteur brûlante du solo de Nels Cline, touchant le morceau d’une grâce et d’une puissance hors du commun. Aucun doute, Cline est un fabuleux guitariste. Ses soli sont irrigués de ferveur, sans tentation vantarde. Des notes décuplées, mais toujours sensibles, parfois bruitistes. Avec lui, Wilco devient intouchable. Et ainsi, de son terreau classic-rock - qui pourrait aussi bien se suffire tant il se tient déjà avec majesté - le groupe atteint constamment et avec ardeur le point culminant, elevation où la mélodie se mue en couleurs et impressions, avec la sensation incandescente que "quelque chose" se libère. Émotion abrasive, apogée. Les beaux motifs de Wilco sont soulevés de terre. Et érigés en grondements ou en envolées qui, à chaque fois, concentrent toutes les prouesses des musiciens. Entièrement absorbés à leur œuvre, zéro outrance. C’est un plaisir rare de contempler ce genre de dévotion. Merci.
Article initialement paru le 8 juin 2009.
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