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A Failed Attempt At Something Worth Saying

A Failed Attempt At Something Worth Saying

Ali Whitton and the BrokeRecordPlayers

par Béatrice le 1er juillet 2008

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Paru en 2008 (Auto-produit)

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Il y a de fortes chances pour que vous n’ayez pour l’instant jamais lu ni entendu le nom d’Ali Whitton – à moins d’avoir vécu à Leeds et d’y avoir écumé les petites salles de concerts, d’être entré un peu au hasard au 24bis, dans le 14e arrondissement de Paris, lors de la dernière Fête de la Musique, ou d’avoir lu l’interview ci-publié avant cette critique de disque. C’est assez normal, car pour l’instant, on écrit et on parle assez peu du jeune homme. Mais ça ne l’empêche guère d’écrire ses chansons, de les enregistrer, et de faire son possible pour les diffuser, tout seul comme un grand. Comme un grand, il a appris à joué de la guitare, puis il a appris à écrire des chansons avec ; une fois doté d’un nombre suffisamment important de chansons, il s’est débrouillé pour réunir un groupe (un septet, car un peu d’ambition ne fait pas de mal), pour dénicher des concerts, pour enregistrer un album, pour le faire publier sur iTunes, et pour en faire un peu de promotion. Tout ça, donc, tout seul, parce qu’il n’avait pas le temps d’attendre qu’un label daigne s’intéresser à lui, et qu’on ne laisse pas traîner des chansons au fond d’un tiroir (elles y étouffent).

Ali Whitton a beau intituler son premier album A Failed Attempt At Something Worth Saying ("une vaine tentative de dire quelque chose qui en vaille la peine", à peu près), il doit donc bien penser que ce qu’il a à dire en vaut la peine. Au moins un tout petit peu. Et, si c’est le cas, il a bien raison. Laisser des chansons prendre la poussière au fond d’un tiroir, c’est mal, surtout quand les chansons sont bonnes. Du coup, comme on pense qu’il a raison, on va prendre le relais, et, pour une fois, faire les choses à sa place, pour bien montrer qu’il y a des gens qui sont en parfait désaccord avec le titre de son album.

Ali Whitton a 25 ans ; il est né en Nouvelle-Zélande, a grandi dans la campagne du nord de l’Angleterre, et écoute de la musique américaine, avec une inclination prononcée pour l’americana dépressive – tendance Bob Dylan, Bright Eyes, Wilco, Ryan Adams. Il joue donc de l’americana dépressive britannique, c’est-à-dire quelque chose qui ressemble de loin à du folk mélancolique britannique, tendance Fionn Reagan, Tom McRae, Damien Rice, mais avec un peu plus de rage et de ferveur, et quelques violons américanisants. Pour parler en métaphore, c’est de la musique poussiéreuse et vagabonde élevée dans une contrée pluvieuse, verte et froide. Quelque part, la terre de Shakespeare prend enfin sa revanche sur celle de l’Oncle Sam, en récupérant la musique que cette dernière avait ingurgitée pour en gaver son folklore. Rien de bien compliqué, une guitare sèche qui mène la danse, assistée à l’occasion d’une électrique ou d’un clavier, d’une section rythmique chaloupée, et d’un violon tantôt dansant, tantôt triste. La voix se veut rêche et douce à la fois, directe mais délicate, discrète, tout en n’hésitant pas à aller droit au but en s’écorchant. Tout ça est fort bien huilé et fonctionne sans accroche, coulant des mélodies à la fois sombres et entraînantes.

Tant mieux, parce qu’il y a besoin de ces mélodies qui glissent et se déroulent sans effort apparent : Ali Whitton œuvre sur le terrain de la chanson-confession, glissant s’il en est. Car autant ce genre peut être saisissant, crève-coeur et arrache-larmes quand il est maîtrisé, autant il est facile de sombrer dans le larmoiement nombriliste et l’auto-complaisance agaçante. Pour s’en sortir à ce petit jeu, il faut déjà une plume acérée, qui saura taper juste et balancer la phrase que chacun pourra ré-adapter, réinterpréter et se réapproprier à sa guise ; pas trop lyrique, pas trop vague, pas trop précise non plus, pas trop pleurnicharde... Il faut savoir croquer des situations quasi-universelles en trois phrases et y faire vivre des couples déchirés, des solitaires perdus dans leur verre de bourbon, des poètes désemparés face à la cruauté du monde. Et puis bien sûr, il faut que ce soit honnête et sincère, idéalement que cela paraisse spontané, craché sur la bande magnétique au moment où un trop-plein d’émotions demandait à être évacué, pour pouvoir être oublié aussitôt après - aux oubliettes, le maniérisme et la sophistication ostentatoires... Il faut savoir canaliser la rage et le désespoir, choisir les moments où ils s’écouleront, ceux où ils seront étouffés, ceux où ils se seront apaisés, autant dans le texte que dans la voix ou l’instrumentation, et insuffler suffisamment de puissance pour captiver dans le peu de moyens dont on dispose. Bref, c’est pas facile – et loin d’être aussi intuitif et spontané que cela n’y laisse paraître.

Or, il se trouve qu’Ali Whitton maîtrise cet art délicat étonnamment bien : mis à part quelques accès de rage guitarisque saturée un tantinet superflus (la fin de Misery Needs Company, par exemple), ses chansons sont d’une fluidité et d’une justesse à toute épreuve. Même en n’écoutant les paroles que d’une oreille, on ne peut pas ne pas se rendre compte qu’il s’agit pour l’essentiel de règlements de compte impitoyables avec lui-même et que ça va somme toute assez loin dans le déballage émotionnel. Mais les mélodies sont suffisamment accrocheuses et délicates, les arrangements suffisamment caressants, la voix capable de prendre suffisamment de recul pour que la pilule passe sans anicroches : ça ne semble jamais forcé, jamais ou presque excessif. Et malgré des textes qui pourraient s’y prêter à merveille, Ali Whitton et son groupe ne sombrent à aucun moment dans le mélo dégoulinant. Mélancolique, oui, parfois cruel ou sciemment plus auto-flagellateur que nécessaire, certes ; mais à aucun moment Ali ne semble se laisser emporter dans une spirale de haine de soi ou d’apitoiement sur son sort qu’il ne contrôlerait plus. Bien au contraire, il n’y a qu’à entendre les mélodies fluides et presque bondissantes, les rythmiques dynamiques et la voix qui, même lorsqu’elle glapit sa détresse, conserve un détachement posé, pour se rendre compte qu’il est trop malin pour prendre ces tourments qui alimentent son art plus aux sérieux qu’ils ne le méritent. C’est une partie de sa vie, mais, même si c’est celle sur laquelle il écrit le plus facilement, ce n’en est pas non plus son point focal... Ali a sans doute suffisamment écouté Bright Eyes pour apprendre à déballer ses états d’âmes avec pudeur, et suffisamment écouté Bob Dylan pour comprendre qu’un peu de distance avec ce qu’on chante fait rarement du mal.

Conséquence, oh ! surprise, ça fonctionne. If It Is So ou The Gun Goes Bang s’incrustent dans les cerveaux sans demander l’autorisation ; les mélodies emportent rapidement dans leur univers, les arrangements, la plupart du temps, allègent l’ensemble plus qu’ils ne l’alourdissent, empêchant l’attention de trop se concentrer sur les textes sans pour autant trop l’en détourner... Quelques accès de rages insufflent une énergie revigorante à l’ensemble, quelques caresses acoustiques candides lui donnent un peu de légèreté, et certaines chansons parviennent même à mélanger les deux. Bref, Ali Whitton et ses Tourne-Disques Brisés réussissent un numéro d’équilibriste loin d’être aussi simple qu’il y paraissait. Et comme souvent lorsqu’un musicien et ses acolytes dosent bien pop simple et accrocheuse et folk rêche et triste, Ali accouche d’une série de chansons qui s’enchaînent sans même qu’on ait le temps de s’en rendre compte. On en vient même à se demander, d’une part comment ce disque peut être un disque "d’amateur", d’autre part, comment il se fait que son auteur soit encore considéré comme amateur après avoir pondu ça. En tout cas, quoi qu’il puisse en dire, il mérite d’être écouté.



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Tracklisting :
1. If It Is So (3’52’’)
2. Empty Threats and Recurring Themes (3’42’’)
3. In My World (3’10’’)
4. The Cruelty That Becomes You (3’20’’)
5. Waiting For Morning To Come (4’10’’)
6. A Failed Attempt At Something Worth Saying (2’52’’)
7. The Gun Goes Bang (4’21’’)
8. The Storm (4’03’’)
9. Lost Cause (3’14’’)
10. Misery Needs Company (5’26’’)
11. The Good Things Are The Enemy (5’29’’)
12. Poet and a Spaceman (1’57’’)
 
Durée totale : 45’36’’
 
Disponible sur aliwhitton.co.uk et sur iTunes.