Sur nos étagères
Circuital

Circuital

My Morning Jacket

par Béatrice le 24 octobre 2011

3,5

paru le 31 mai 2011 (Rough Trade)

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My Morning Jacket, donc.

Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais plusieurs personnes ici aiment beaucoup My Morning Jacket. Pourtant, à l’heure où j’écris ces lignes, le dernier opus des barbus du Kentucky est sorti depuis un petit bout de temps et personne n’en a rien dit sur ce site. En déduire que nous sommes passé à côté serait une conclusion par trop hâtive. Au contraire, il a été attendu avec impatience, accueilli avec enthousiasme, découvert avec fébrilité puis disséqué avec assiduité. Suite à quoi se sont détachés plusieurs candidats potentiels à la rédaction de l’article réglementaire-et-plus-si-affinité. Et puis... et puis pas grand chose, étrangement. Pour des raisons mystérieuses, les candidats potentiels se sont plus ou moins explicitement refilé la patate chaude jusqu’à ce qu’elle tiédisse, et ça n’a pas produit beaucoup de purée [1]... Résultat, on se retrouve encore une fois à se demander si cet article devrait plutôt aller en étagères ou en nouveautés, c’est malin [2].

Le fond du problème, sans doute (et sans non plus vouloir trop parler pour mes collègues qui ont préféré se taire), c’est qu’on n’a pas grand chose à dire sur cet album. C’est assez étonnant, compte tenu de nos prédispositions pourtant démontrées pour les logorrhées analytiques. C’est d’autant plus étonnant que le disque a été pas mal écouté par ici et qu’il y a de chouettes chansons dessus. Est-ce à dire que cet album est parfaitement bouclé sur lui-même et que passée la jouissive surprise du retentissant Holdin’ On to Black Metal, il n’interpelle finalement pas tant que ça ?

Mais en y réfléchissant bien, je ne suis pas sûre d’avoir beaucoup plus à dire sur le reste de l’œuvre de My Morning Jacket, ni d’avoir moins de mal à saisir le fil de l’unanimement salué Z ou de l’hétéroclite Evil Urges. Il y a quelque chose de déroutant dans le mélange d’emphase et de torpeur qui caractérise la musique du groupe, cette espèce de densité cotonneuse qui penche tantôt vers un futurisme exubérant et ludique, tantôt vers un classicisme exemplaire, et souvent mélange les deux. On retrouve bien les deux sur ce Circuital, dans un ensemble plus homogène que sur le précédent et plus synthétique que sur Z. Comme on s’y est accoutumée, leur bizarrerie séduit toujours mais n’interpelle plus autant qu’avant, surtout quand elle est, comme ici, nimbée de sobriété.

L’album dans son ensemble est assez lisse et dépouillé, composé de chansons simples quoique étirées qui se succèdent sur un rythme assez constant. Dans l’entre-deux, Jim James et sa bande font couler leurs complaintes émerveillées et désabusées. Le tout est d’une ampleur contenue, demande un grand espace pour se déployer de façon ténue. Comme le faisait justement remarquer Pitchfork [3], la voix pourtant assez exceptionnelle de Jim James reste relativement en retrait, loin de se détacher avec autant de grâce et de force qu’elle ne peut le faire en concert. Finalement, Circuital ne s’impose pas, il s’insinue doucement, écoute après écoute, berce gentiment, secoue tendrement le temps d’une ode enfantine au Black Metal, et s’éclipse discrètement sur une valse fatiguée.

A l’image de la voix du frontman, c’est un album retenu d’un groupe pourtant capable de se déployer dans une démesure jamais excessive - il n’y a qu’à avoir assisté à un de leurs concerts aussi épiques qu’envoûtants pour jauger de leur potentiel de frappe, et se rendre compte qu’il n’est qu’approximativement suggéré dans la plupart de leurs enregistrements studios. C’est un peu ce qui se passe avec ce Circuital, et sans doute plus qu’avec ses prédécesseurs : on sent l’envergure musicale du groupe, on estime sans mal l’ampleur potentielle que pourrait prendre leur musique, mais elles ne sont jamais pleinement déployées.

Loin de moi l’intention d’en déduire que Circuital est un album mou ou décevant. Non, c’est un très bon album, cohérent, dense mais pas pesant, simple mais pas pauvre, et surtout, composé d’excellentes chansons (on a déjà cité plusieurs fois la délicieuse Holdin’ On to Black Metal, sorte de succédané moins bizarre de Highly Suspicious, mais Wonderful, You Wanna Freak Out, First Light, The Day is Coming, non-je-ne-citerai-pas-tout donc “etc...”, sont des sacrées pop-songs sur lesquelles on serait mal avisés de cracher !). Mais c’est aussi un album en demi-teinte, dont on ne sait pas trop s’il est mélancolique, philosophe, enjoué, enfantin, ludique, sage, emphatique, studieux, dérangeant ou caressant. Hymnes ou complaintes, odes fatiguées ou ballades électrisées ? On se pose vaguement la question, mais on n’essaye guère d’y chercher une réponse.

Circuital est fuyant, assurément difficile à cerner (d’ailleurs, à ma connaissance personne ici n’a vraiment réussi à le cerner, alors même qu’il y a pas mal d’habitués du cernage d’albums déconcertants), peut-être parce qu’il n’assume jamais jusqu’au bout les directions qu’il propose. Sans que cela le rende forcément moins intéressant, c’est un album de promesses à mi-voix bien plus que d’accomplissement resplendissant - et du coup, forcément, un peu frustrant sur les bords. L’entendre transcrit en concert nous en donnerait fort probablement une toute autre appréhension, mais malheureusement la bande des barbus boude allégrement nos contrées et nous abandonne à ses promesses doucereuses, ce qui, vous en conviendrez, est particulièrement vexant. Et comme, face à des promesses, il est difficile de répondre par beaucoup plus concret que d’autres promesses éventuelles, on a assez peu à dire - et essayer de le dire ne m’aura d’ailleurs que partiellement aidé à mieux comprendre l’objet. Ceci dit, ne pas être capable de cerner, commenter, disséquer ou analyser ce je-ne-sais-plus-combientième album du groupe ne m’a absolument pas empêchée de l’écouter ni de l’apprécier, comme quoi certaines œuvres se passent sans problème des cohortes d’exégètes. Finalement, Inside n’avait donc peut-être pas tant besoin que cela de cette critique, ce qui pourrait expliquer le peu d’empressement que nous avons eu à l’écrire.



[1Pardonnez le filage hasardeux de métaphore.

[2En considérant que le Fleet Foxes fait jurisprudence, on optera pour les étagères.

[3Oui, il nous arrive même parfois d’être d’accord avec Pitchfork, quand on fait l’effort de lire leurs articles jusqu’au bout.

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