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par Aurélien Noyer le 11 novembre 2008
Paru le 6 octobre 2008 (Columbia Records)
On peut s’en réjouir ou le regretter, s’en foutre ou s’en agacer, mais il faut bien reconnaître que le vieux Bob Dylan est en phase de déification avancée, et représente à ce titre un cas unique dans l’histoire de la musique rock. Qui d’autre que lui peut se prévaloir d’un tel culte ? Quel autre artiste de sa génération peut-il se payer le luxe de tourner incessamment et de sortir des albums à ce point encensés qu’on n’ose même plus évoquer ses anciens disques ? Des seuls concurrents en lice, les Rolling Stones, tout le monde s’accorde à dire qu’ils n’ont plus rien fait de grand depuis Exile On Main Str., théorie répétée à l’envi à chaque sortie d’album. Dans le cas de Dylan, on assiste à un incroyable renversement de la situation : depuis son retour en grâce avec l’album Oh Mercy, la parution de ses vieux morceaux (via la collection des Bootleg Series) semble au contraire avoir magnifié ses sorties récentes. Et ce, à tel point qu’il peut se permettre de sortir un Bootleg Series couvrant la période 1989-2006. Aucun autre artiste de sa génération ne pourrait se permettre de sortir un best-of couvrant cette période... alors imaginez-vous une compilation de prises alternatives, d’inédits et de versions live !!! S’il y a une preuve de l’intouchabilité de Dylan, c’est bien celle-ci.
Néanmoins, il convient de redescendre sur Terre et d’écouter le plus sincèrement possible cette grosse poignée de titres. Mais rassurez-vous, votre serviteur, perclus de dylanomanie chronique, s’y est attelé et pense être capable de faire abstraction de sa pathologie pour vous en faire un compte-rendu le plus précis possible.
Commençons donc par un point de vue très large et considérons l’objet dans le vaste scope du rock lato sensu de façon à répondre à la question fatidique : "quel intérêt pour le fan de rock lambda à acheter cet album ?" La réponse vient très vite : "il est faible". Comparé aux autres Bootlegs Series, ce volume 8 fait un peu office de parent pauvre. On ne trouvera pas pas ici d’inédit renversant à la Blind Willie McTell ou de trésors cachés datant de la jeunesse de Dylan, pas de live mythique (Royal Albert Hall 1966) ou splendide (Philharmonic Hall 1964). La plupart des titres sont des versions alternatives ou des inédits mis sur bande lors de l’enregistrement de Oh Mercy et Time Out Of Mind, deux albums qui se taillent la part du lion. On peut donc constater qu’une majeure partie de cette compilation est consacrée à son travail avec le producteur Daniel Lanois, alors que les albums "Love And Theft" et Modern Times où Dylan s’autoproduisait sous le pseudonyme de Jack Frost ne sont représentés que par deux ou trois chansons.
Néanmoins, quelques titres live sauvent la mise, comme cette incroyable version de High Water (For Charley Patton) qui, de chanson gentiment country, devient un blues rapeux et âpre que n’aurait pas renié le bluesman à qui elle rend hommage. Dylan y râle et grommelle comme jamais et sa voix flinguée rend absolument crédible cette incarnation en chantre du blues le plus authentique. En outre, Dylan confirme être un excellent compositeur de BO (ce dont on se doutait depuis son Oscar de la meilleure BO pour Things Have Changed) avec trois chansons écrits pour des films.
Du point de vue du dylanophile (et encore plus du dylanomaniaque), ce Bootleg Series Vol. 8 est l’occasion de découvrir les coulisses du retour de Dylan. Ainsi il aura le plaisir d’écouter enfin Dignity et Born In Time, chansons évoquées par Dylan dans son Chroniques, Vol. 1 mais jusque là inédites. Et les nombreux morceaux live permettent de mesurer à quel point le vieux Bob a décidé de s’incarner en avatar de l’americana la plus pure. Mais pour celui dont la carrière avait commencé avec la recherche quasi-pathologique de bluesmen et de folkeux oubliés, il s’agit plus d’une tentative de réactualisation du patrimoine musical américain que d’un simple retour aux sources. Plus qu’aucun autre groupe (au hasard Bright Eyes, Calexico, Cowboy Junkies), il peut se permettre de tenter le grand écart entre un passé que, contrairement à ses successeurs, il a personnellement vécu et une certaine modernité. Cette connexion était esquissée dans "Love And Theft" et Modern Times, elle est ici pleinement explicitée...
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