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par Aurélien Noyer le 11 septembre 2007
paru le 26 novembre 2002 (Columbia)
Dire que la Rolling Thunder Revue est une tournée mythique est un euphémisme. Peut-être moins célèbre que celle qui suivit le passage à l’électricité, elle n’en demeure pas moins la tournée de Dylan la plus fascinante et la plus créative. Là où, en 65, il se contentait de balancer des missiles chargés d’électricité nucléaire à un public le traitant de Judas, on trouve en 1975 un Dylan habillé en Monsieur Loyal, le visage barbouillé de blanc, entouré d’une extraordinaire troupe de musiciens. Une sorte de revue de cabaret bohème... On trouve Mick Ronson et T-Bone Burnett à la guitare ; Joan Baez, Roger McGuinn et Ramblin’ Jack Elliott y font des appararitions plus que remarquées ; Allen Ginsberg n’est jamais très loin. À la base du projet, la volonté de Dylan de partir sur la route avec ses amis, invitant les gens qu’il croiserait à le rejoindre. Accessoirement, la tournée devait également servir à tourner le projet cinématographique de Bob, Renaldo And Clara.
Et la tournée s’acheva à la fin de l’automne 1975... pour reprendre au printemps 1976. Malheureusement, entre-temps, l’enthousiasme et la magie s’étaient perdus dans la routine et l’amertume des musiciens de se retrouver à jouer les mêmes chansons machinalement devait être d’autant plus grande que les souvenirs de la première partie de la tournée étaient récents. C’est donc un groupe sans réelle motivation qui monte sur la scène du Hughes Stadium de Fort Collins, Colorado pour l’avant-dernier show de cette Rolling Thunder Revue, show qui sera enregistré et filmé. Au grand désespoir des fans, cette tournée mythique n’aura donc eu comme legs que Hard Rain, album live médiocre et passablement ennuyeux...
Jusqu’en novembre 2002 où parut enfin un Bootleg Series consacré à la tournée du Tonnerre Roulant. Un double album consacré non pas à un seul concert comme c’était le cas pour Hard Rain, mais constitué d’extraits de 5 concerts différents. Certains esprits chagrins ont d’ailleurs râlé à la sortie de l’objet, outré qu’il ne s’agissent pas d’un concert complet. Inepties !!! Vouloir résumer en un seul concert une tournée aussi riche, avec des musiciens aussi inventifs et se renouvelant sans cesse est au mieux impossible, au pire stupide.
Alors, qu’en est-il finalement ? Presque trente ans après, cette tournée tient-elle les promesses qu’on nous avait fait miroiter, à nous, pauvres fans de Dylan trop jeunes pour avoir eu la moindre chance d’y assister ? Hélas oui... l’ensemble bien qu’a priori hétéroclite (mais c’est l’esprit du truc, non ?) est véritablement de toute beauté. Dylan puise dans sa créativité pour réinventer ses anciennes chansons. A Hard Rain’s A-Gonna Fall se transforme alors en rock mené tambour battant, enluminé par une lap-steel magistrale et un Mick Ronson brillant dans son solo et discret mais efficace le reste du temps. Durant The Lonesome Death Of Hattie Carroll, ce n’est plus Dylan seul qui pleure la mort de Hattie Carroll mais tout le groupe qui se joint à lui durant les refrains. Et Dylan, jusqu’alors habitué à ne considérer ses musiciens que comme un backing band, de se fondre pour une fois dans un ensemble de talents.
Il faut d’ailleurs préciser que la Rolling Thunder Revue (ou du moins la première partie) n’était pas, à proprement parler, une tournée pour soutenir un disque. Elle a eu lieu entre l’enregistrement de l’album Desire en octobre 75 et sa sortie en janvier 76, l’objectif étant de continuer dans la lignée de l’enregistrement chaotique mais créatif de l’album. On comprend ainsi mieux la singularité de ces concerts. Le son même ne ressemble à rien d’autre dans la discographie de Dylan et l’apport d’un musicien comme Ronson se fait alors déterminant, il contribue à ce mélange tradition/modernité.
Mais Dylan étant Dylan, il ne peut s’empêcher de faire quelques chansons seul avec sa guitare. Même si le tumulte de la tournée 1965 est loin derrière loin, que le public accepte, voire même demande ses morceaux électriques, il en revient aux classiques. Ainsi, Mr. Tambourine Man, It’s All Over Now, Baby Blue et la sublimissime Love Minus Zero/No Limit sont interprétées à l’acoustique. Autre fait marquant, les deux chansons tirés de son album précédent, le très autobiographique Blood On The Tracks, à savoir Simple Twist Of Fate et Tangled Up In Blue, seront également jouées par Dylan tout seul. On peut y voir la réticence de Dylan de jouer des chansons aussi personnelles avec une dizaine de personnes autour de lui.
Cependant, l’important ici n’est pas tant les arrangements et les musiciens, même si la qualité musicale se révèle exceptionnelle. L’important est la voix de Dylan qui n’a peut-être jamais aussi bien chanté. Bien souvent, son chant se rapprochait plus de la scansion ou d’une quelconque façon de mettre ses textes en valeur. Ici, entouré de tant de musiciens confirmés, il n’a plus d’échappatoire. Il doit servir autant les mots que la musique et ô miracle, il se montre à la hauteur de cette tâche.
Ainsi, à la fin des deux disques constituant ce Bootleg Series, on peut effectivement se rendre compte de ce qu’a du être cette Rolling Thunder Revue où Dylan brilla d’une créativité bohémienne et brouillonne. C’était peut-être la dernière fois qu’il fut aussi spontané et rien que pour ça, cette tournée (et ces disques) sont à la hauteur de la légende.
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