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par Giom le 11 septembre 2007
paru le 30 août 1965 (Columbia)
Bruce Springsteen, que l’on ne cite que trop rarement a le commentaire ultime sur ce Dylan de 65 qui pond Highway 61 Revisited à la fin de l’été : « Dylan était révolutionnaire. Bob a libéré nos esprits comme Elvis avait libéré nos corps. » Tout est dit.
Highway 61 Revisited. Le titre-même mérite l’explication de texte. Tout est bien sûr dans le participe passé adjectival. Tout ici est connu, une voix, un orgue, des guitares furibondes, toute l’Amérique populaire est en germe dans ce disque, mais tout y est aussi revisité, redécouvert, inventé, révolutionné. Bien plus qu’un simple hommage à la fameuse route qui traverse les États-Unis et la ville d’enfance de Dylan.
À commencer par ce titre d’ouverture, Like A Rolling Stone, repris par des dizaines d’artistes après lui, composé un jour de juin 65 et qui fait office de production esthétique totalement nouvelle pour l’époque. Un single de près de six minutes, une chevauchée fantastique tirée par une voix rêche, qui vomit presque un texte acerbe, et soutenue par une rythmique brinquebalante... Un morceau totalement inédit qui marqua l’histoire et qui ne pouvait que mieux introduire ce disque fondateur du nouveau Dylan, le Dylan électrifié, Dylan le magnifique.
Avant il y a eu Bringing It All Back Home, et les temps commençaient à changer. L’ébullition californienne était proche également, les Byrds avaient depuis longtemps déjà jeté un sort à Mr Tambourine Man, Dylan se devait de taper très fort et très vite. Joan Baez le sentait, la fin du charmant duo protestataire était proche, Dylan allait partir seul à l’aventure, justement accompagné par une nouvelle fée, la fée électricité. « J’ai peur, tout cela veut dire que tu vas être le roi rock’n’roll et moi la reine pacifiste. » Sacrée Joan.
Highway 61 Revisited doit surtout beaucoup à Mike Bloomfield, ce guitariste improbable qui cisèle les compositions du Zimm’ de bouts de solos tortueux, viscéraux à l’image des textes surréalistes et terrifiants du poète moderne. Dylan pour son passage en groupe s’est entouré, et bien. Bloomfield fut le bon choix. Le Band n’existe pas encore mais Bloomfield laisse son nom dans l’histoire avec sa participation à ce chef-d’œuvre. La preuve en est de ce Tombstone Blues, qui ressemble à une page de Dickens version rock et beat et qui fonce comme un bolide. Jacques Vassal, l’éminent critique français, a défendu la thèse qu’au plus fort de sa période électrique, celle dont nous parlons donc, Dylan conservait les structures folk qui avaient fait son succès auparavant. Pourquoi pas car Tombstone Blues est à nouveau inspiré du Taking It Easy de Pete Seeger et Woody Guthrie. On y trouve cependant une lecture de la société cauchemardesque interprétée avec une désinvolture incroyable par Dylan. Tombstone Blues est en tout cas une puissante réussite dans son côté entêtant avec son refrain pathétique qu’on ne peut oublier jusqu’à l’overdose :
“Mama’s in the fact’ryShe ain’t got no shoesDaddy’s in the alleyHe’s lookin’ for the fuseI’m in the streetsWith the tombstone blues”
Tous les morceaux de cet album sont marquants à leur façon. Le plus étrange est peut-être Ballad Of A Thin Man et son Mister Jones inconnu qui fit tant couler d’encre et que Dylan interpelle avec tant d’ironie mordante. Même Brian le parano a cru qu’il était visé. Depuis beaucoup d’interprétations ont vu le jour comme l’idée exprimée sur Internet en 1998 que la chanson n’est que l’expression d’un homosexuel refoulé de faire une fellation. La réponse qu’a proposée Dylan est (bien sûr) plus surréaliste : « Il est bien réel. Vous le connaissez, mais pas sous ce nom. Je l’ai vu entrer dans ma chambre et il ressemblait à un chameau. Il a mis ses yeux dans sa poche... » Toujours très ambiguë mais finalement ce Mr Jones, si décrié dans Ballad Of A Thin Man, ne serait qu’un jeune journaliste qui lors du fameux festival de Newport en 1965 aurait questionné Dylan sur « la prépondérance que prenait l’harmonica dans la musique folk contemporaine. » On comprend que cela ait pu énerver le Zimm’ à la lumière du contexte.
Ballad Of A Thin Man donc, mais aussi la chanson-titre de l’album, joyeux bordel boogie-blues à nouveau marqué par les irruptions démoniaques de la six cordes de Bloomfield. Démoniaque justement, Dylan s’attaque dans ce morceau à une exégèse fascinante avant de faire de cette autoroute mythique le lieu de toutes les satires. Le morceau est surtout marqué par un sifflet dévastateur que Dylan avait collé à son harmonica au moment d’enregistrer le titre, qui donne une couleur si particulière à la composition et en fait un moment clé du disque.
Moment clé qu’est également la longue ballade acoustique Desolation Row. Plus de 11 minutes de délicats arrangements musicaux et de paroles infernales ! La relecture de L’Enfer de Dante est ici évidente et totalement réussie. Alors que le poète italien croisait Virgile dans l’œuvre originale, Dylan ne manque pas lui non plus de faire des rencontres les plus inattendues : Einstein, Néron, T.S Eliot, Casanova ou encore Noé. Dylan dira de ce morceau que, s’il était élu Président des États-Unis, il abolirait le Star Spangled Banner et ferait apprendre à tous les enfants du pays ce terrifiant Desolation Row. L’Amérique infernale est donc une nouvelle fois matérialisée par Dylan et fait peur à voir alors que la composition est d’une douceur acoustique en totale opposition avec l’esthétique musicale du reste de l’album. Un nouveau contre-pied parfait. Un cauchemar rêvé.
Highway 61 Revisited est donc un monument dont l’enregistrement s’est fait en un temps record. Cette fois Dylan lâche les amarres et part véritablement à l’aventure. La tournée qui suivra sera sans fin et bien celle du divorce avec les amateurs de folk qui l’avaient glorifié. Dylan a choisi sa voie, cette autoroute à la fois connue et si étrange, il sera le roi rock’n’roll, le nouveau Christ hué par ses fidèles et adoré par tous les autres. L’autoroute 61 est cependant la plus longue de l’Amérique du Nord, attention, un accident de moto est si vite arrivé, surtout quand on brûle de la vitesse que donne l’ivresse électrique.
Enfin avec ce disque c’est la musique rock qui s’impose car si Dylan ouvre la voie de la modernité, les autres ne pouvaient que suivre. Il faut attendre que Dylan devienne rock pour que le rock devienne véritablement. En cet été 65, les choses ont changé, une nouvelle autoroute est inaugurée, elle sera par la suite très fréquentée.
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