Incontournables
Blood On The Tracks

Blood On The Tracks

Bob Dylan

par Brice Tollemer le 13 avril 2010

Paru le 17 janvier 1975 (Columbia)

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« Je ne comprends pas comment les gens peuvent accrocher à ce disque, vu ce que je traversais en l’écrivant ». Nous sommes en 1974. Dylan vient d’avoir 33 ans. Treize années de carrière et déjà quatorze albums. C’est alors qu’il va rentrer dans une période éminemment mystérieuse et solitaire. Quittant le domicile familial de Malibu, il rentre à New-York. Personne ne sait précisément où le chanteur habite durant ce laps de temps. Mal rasé, sentant l’alcool et la cigarette, il ressemble plus à un vagabond qu’autre chose et traîne de club en club le soir. Un jour, il s’inscrit aux cours donnés par un vieux peintre de soixante-dix ans passés, Norman Raeben. Juste pour voir. Il restera deux mois, en suivant de manière assidue et quotidienne les enseignements de l’artiste, né en Russie au début du XXème siècle. Une expérience qui influence fortement Bob Dylan dans sa façon de composer, de produire, de créer. Peu de temps après son séjour new-yorkais, il retourne du côté de Minneapolis et achète une immense ferme. Il retape une grange en énorme atelier de peinture et commence par écrire les nouveaux morceaux de son futur album. Durant l’été 1974, une dizaine de titres sont ainsi rapidement mis en route.

L’enregistrement se passe à New-York et débute le 16 septembre. Durant ces sessions, il demande à Eric Weissberg de l’accompagner, célèbre joueur de banjo pour notamment le film Délivrance réalisé par John Boorman. Mais la rencontre entre les deux musiciens se déroule de manière fort peu courtoise et quelques jours plus tard, Dylan choisit le bassiste Tony Brown comme seul accompagnement. Avant de demander par la suite l’aide de Paul Griffin aux claviers. Les enregistrements se terminent et la sortie de l’album est prévue au cours du mois de décembre. Mais le songwriter n’est finalement pas satisfait de cette première monture, après l’avoir fait écouter à son frère de producteur, David Zimmerman. Cinq chansons sont ainsi réenregistrées à Minneapolis et la parution de l’album est repoussée au début de l’année 1975.

But all the while I was alone
The past was close behind,
I seen a lot of women
But she never escaped my mind, and I just grew
Tangled up in blue

Ces compositions, Dylan les a écrites seul, face à lui, face à ses démons, face aux jours passés, face au présent, face au futur. Blood On The Tracks intervient quand il vient de se séparer de compagne Sara. La fin d’une relation déjà vieille d’une dizaine d’années. Album de rupture, crépusculaire, mais aussi empreint d’une ironie et d’un cynisme typiquement dylanien, il est sans aucun doute sa plus grande réussite depuis Blonde On Blonde et d’aucuns diront son dernier plus grand disque.

She was born in spring, but I was born too late
Blame it on a simple twist of fate

Tout ce qu’un homme a besoin de savoir sur la fin d’une histoire d’amour est inscrit le long de ces dix titres, de la séparation subie mais inéluctable, du ressenti envers l’autre mais aussi contre soi. « You’re a Big Girl Now », « If You See Her, Say Hello » ou bien encore « Meet Me In The Morning » sont bien évidemment les pièces maîtresses de ce Blood On The Tracks, représentatives en cela de ce que traversait le chanteur durant cette période sombre et mystérieuse. Mais ce sont véritablement les sept minutes de « Idiot Wind » qui sont la parfaite illustration de ce disque, où cette nouvelle façon d’écrire rejoint dans un même élan cette nouvelle essence musicale et où s’exprime merveilleusement ce mépris désabusé au regard de l’être autrefois aimé.

People see me all the time and they just can’t remember how to act
Their minds are filled with big ideas, images and distorted facts
Even you, yesterday you had to ask me where it was at,
I couldn’t believe after all these years, you didn’t know me better than that
Sweet lady

Néanmoins, si l’ironie peut être féroce (Idiot wind, blowing every time you move your teeth, You’re an idiot, babe, It’s a wonder that you still know how to breathe) elle est plutôt nuancée par la fin de la chanson, comme quand les reproches amères à fleur de peau s’atténuent au fur et à mesure que la séparation s’éloigne (You’ll never know the hurt I suffered nor the pain I rise above, And I’ll never know the same about you, your holiness or your kind of love, And it makes me feel so sorry.)

Alors, oui, quand on arrive au terme de cet album, on ne sait plus pourquoi on l’a aimé, on ne sait pas ce qu’a enduré Dylan pour le mener à bien, on ne sait plus pourquoi on aime ou on déteste les femmes. Mais on constate que le chanteur est encore incontournable en cette année 1975, il a survécu aux Beatles, il a survécu au flower power et à la naissance du hard-rock. Blood On The Tracks est une épreuve, un voyage ensanglanté qui se conclut invraisemblablement bien.

Life is sad
Life is a bust
All ya can do is do what you must
You do what you must do and ya do it well,
I’ll do it for you, honey baby,
Can’t you tell ?


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1. Tangled Up In Blue (5:42)
2. Simple Twist Of Fate (4:19)
3. You’re a Big Girl Now (4:36)
4. Idiot Wind (7:48)
5. You’re Gonna Make Me Lonesome When You Go (2:55)
6. Meet Me In The Morning (4:22)
7. Lily, Rosemary And The Jack Of Hearts (8:51)
8. If You See Her, Say Hello (4:49)
9. Shelter From The Storm (5:02)
10. Buckets Of Rain (3:22)
 
Durée totale : 51:42