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par Milner le 25 septembre 2007
paru le 30 septembre 1997 (Columbia Records)
Time Out Of Mind, titre prémonitoire, fut pour Bob Dylan un album qui jeta quelques lueurs dans une ambiance crépusculaire de circonstance. 1997 : an zéro pour la dernière décennie du siècle. La musique techno débarque dans les foyers et dans les transistors (Daft Punk), la britpop est à son crépuscule (The Verve), il n’est plus question que de fusionner les genres dans les disques parus cette année-là pour le meilleur (Prodigy) comme pour le pire (Texas). Du côté des États-Unis, pas grand chose de réellement innovant, le vaste pays où tout est possible semblant pour la première fois depuis longtemps un peu à la traîne. En de telles circonstance, il n’est guère étonnant de voir subitement rugir de glorieux anciens aux premières loges. Si les papys cubains du Buena Vista Social Club connurent un plébiscite inattendu, c’est bien d’un stricte point de vue artistique que Robert Zimmerman alias Dylan allait connaître une renaissance commerciale et publique.
Car quand arrive le moment de faire enregistrer un album à Bob Dylan, tout le département Columbia Records de chez Sony doit être en ébullition. Rien de plus normal, après tout, que de tenter de soigner au maximum la production du disque avec un égal bonheur que les précédentes livraisons du saltimbanque américain. Problème : avant la parution de Time Out Of Mind, le Zimm’ restait sur quasiment vingt années de déboires critiques voire commerciaux et il lui semblait difficile de retrouver le clinquant d’antan, celui qui en fit l’Icône Suprême des années 1960. Il est vrai que lorsque le vieux volcan donnait des signes de vouloir cracher à nouveau, le fan moyen s’empressait de regarder à deux fois avant de considérer gravement la chose. En cela, il y avait eu les épisodes reggae, la conversion au christianisme, une tragique prestation au Live Aid de 1986, un disque acoustique très fatigué pour le compte de la chaîne MTV et surtout des albums à fréquence régulière qui ne trouvèrent ni leur public, ni leur critique. Les seuls moments de « réjouissance » furent l’escapade des Traveling Wilburys, la tournée Heartbreakers / Grateful Dead et surtout la parution en 1989 de Oh Mercy, son meilleur album de la maudite décennie, injustement ignoré et qui est un peu la matrice de ses albums à venir, en plus acéré, plus libre.
Injustement tenu à l’écart alors qu’il avait tant donné à une génération qui lui tournait alors le dos, le baladin folk obtint sa revanche en livrant un disque prophétique de très haute volée, manifestant une verve poétique et lugubre qu’on ne lui soupçonnait plus être capable de reproduire. Enregistrées au soleil entre la Californie et la Floride sous la houlette du Canadien Daniel Lanois, les onze chansons du projet voient son auteur ruminer sur son passé, les ruptures, les trahisons, les décès. Love Sick et sa rythmique funk qui trépasse laisse apparaître à l’horizon des souvenirs, réels ou imaginaires. Voici un musicien que l’on croit connaître et qui surprend sur chacune de ces pistes. Sur Standing In The Doorway, Tryin’ To Get To Heaven et Not Dark Yet, tout juste retrouve-t-on toujours cette diction détachée et ce grain nasillard si caractéristique, à rapprocher dorénavant de Springsteen et Waits. Avec grâce et dignité, il parsème l’ensemble de quelques titres blues bien pensés (Can’t Wait, la superbe Dirt Road Blues) qui sonnent comme un hors-d’œuvre pour la pièce montée finale, l’épique Highlands. D’une longueur inattendue, la chanson narre le rêve d’un homme qui a tout l’air d’être passé de l’autre côté des portes de l’au-delà. Lorsqu’il place son filet de voix, les sentiments se font plus pénétrants revêtant presque une ambiance de western avec ses villes fantômes et son mauvais temps, une œuvre d’art américaine complète et sans concession aucune. Highlands donne l’impression que Dylan regarde les gens qui passent devant lui mais eux ne le regardent pas. En ce sens, l’auditeur se retrouve avec une suite actualisée de Like A Rolling Stone, sans doute l’un des titres les plus spectraux de tout son riche répertoire.
Peu de temps avant la parution de son trente-deuxième album studio, le monde apprend avec stupeur que Dylan a manqué de succomber à une alerte cardiaque provoquée par une infection pulmonaire rarissime. Et lorsque l’Oracle se mit enfin à éternuer en août 1997, un regain d’intérêt surgit forcément en faveur de l’artiste. Il s’agissait de son premier album de matériel original de la décennie, une gageure en soi. Mais la disparition conjuguée de Allen Ginsberg, William S. Burroughs et à un degré moindre Jerry Garcia (Grateful Dead) firent de Dylan quasiment le dernier survivant de la Beat Generation, ce mouvement littéraire américain apparu dans les années 50 qui a façonné un bon pan de la culture du XXe siècle. Amassant les louanges du monde entier et récoltant un bon nombre de Grammy Awards, Time Out Of Mind ouvrait la voie d’une renaissance artistique chez un homme désormais sage comme un vieux chêne, détaché des tracas du quotidien. Car sous le dénuement apparent se cache l’un des disques les plus sombres de tous les temps. Et lorsque tout cela est mis au profit d’un talent poétique flamboyant, il n’y a plus lieu de s’inquiéter sur le futur musical du personnage Dylan, grand parmi les plus grands.
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