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par Emmanuel Chirache le 18 novembre 2010
Paru en octobre 2010 (Sony/RCA)
Le plus grand groupe de rock du monde. Voilà ce que voulaient être et ce que sont devenus les Kings Of Leon. Car là où d’autres artistes improvisent en ahuris trimbalés ici ou là par le hasard, la fratrie Followill avait, elle, un plan de carrière. Pas question de croupir dans les rayons poussiéreux d’un disquaire indépendant toute leur vie, non, les Followill rêvent dès le départ d’entendre leurs chansons à la supérette du coin, de remplir les stades et refuser des interviews. Après quelques années de galère, durant lesquelles ils ont conquis l’Europe mais pas les States (aucun intérêt, donc), les KOL ont fini par atteindre leur but, quitte à se mettre à dos les fans de la première heure.
Parce qu’il y a un problème : dans le processus, leur musique a beaucoup changé. Votre serviteur se souvient encore de sa découverte émue, à Gibert, des débuts du groupe avec Youth And Young Manhood (2003), petite merveille de revival rock sudiste et garage. Tout de suite, on avait misé nos ronds sur eux, et l’on n’avait pas été déçu par la suite, même si le formidable Because Of The Times faisait déjà peau neuve (d’après certains, ce serait le label qui aurait poussé les musiciens à abandonner leurs racines sudistes, mais on peut en douter). Caleb, Jared et Matthew avaient en effet écouté U2, Cure, Pearl Jam et Joy Division pendant les vacances, ils revenaient donc avec plein de nouvelles idées dans les valises. Au revoir les morceaux secs et rugueux de péquenauds du Tennessee, bonjour le gros rock de stade. Le résultat restait brillant et riche, mélange réussi de new wave underground et de rock commercial. La recette fonctionne, on la renouvelle donc en la radicalisant. Ce sera Only By The Night, racolage de pute d’autoroute qui secoue son sac à main en mâchant du chewing-gum.
On n’attrape pas des mouches avec du vinaigre. Pour devenir le plus grand groupe de rock du monde, les Kings Of Leon doivent séduire tous ceux qui n’écoutent du rock que ponctuellement, le public de Muse et Coldplay, les adorateurs de James Blunt, les gens qui écoutent la radio et regardent la télé. Cœur de cible : l’adolescente pré-pubère qui « aime trop la musique, quoi, tu vois, et qui adore trop chanter même si elle aime pas sa voix quoi, trop horrible, ha bon tu trouves que j’ai une belle voix ? arrête c’est pas vrai... merci t’es trop chou, toi ». Voici le rôle dévolu au single Use Somebody, véritable machine de guerre pour conquérir ce cœur de cible, chanson de lover imparable qui sera reprise par la grande amicale Youtube des pisseuses à guitares (cf. notre description du fléau). Mission accomplie, le morceau cartonne dans les charts et récolte divers Grammy Awards aux Etats-Unis, tandis que l’album, lui, propulse le groupe au sommet de sa popularité.
En dépit de tous ces défauts, Only By The Night conservait les traces d’un talent certain, hélas galvaudé par son obsession pour le succès. Une fois les objectifs atteints, on était en droit d’attendre une prise de risques avec la sortie du dernier opus en date nommé Come Around Sundown (une nouvelle preuve que le groupe ne possède pas l’art du titrage... pour le prochain on pronostique Before The Winter) ; un peu d’audace, un brin d’agressivité. Il n’en est rien, les Kings Of Leon continuent sur leur lancée putassière en aguichant la skyblogueuse. Pourtant, les garçons n’ont pas perdu leurs qualités, qu’elles soient mélodiques ou stylistiques. Il y a une véritable "touch" Kings Of Leon sur The End, ce petit phrasé de basse erratique, qui murmure et se retire, cette reverb’ empruntée à The Edge de U2 jusqu’à l’overdose, la voix lascive et lancinante de Caleb. A la lead guitare, Matthew laisse sonner les aigus pendant les refrains, utilisant parfois la pédale whammy, ce qui donne souvent l’impression d’entendre une réplique moderne de la bande à Bono. A la basse, Jared a bien retenu les leçons de Simon Gallup et Peter Hook. L’entrée en matière du disque s’apprécie néanmoins, et le single Radioactive qui suit s’écoute également avec plaisir, même s’il démarque encore et toujours The Joshua Tree. Caleb, lui, confirme que son chant est l’un des plus étonnants de la décennie. Malgré des similitudes avec celui d’Eddie Vedder, il creuse un sillon plutôt original, pierre angulaire du son du groupe.
L’humeur est égale sur Pyro, où l’on retrouve cet art de la ballade mid-tempo un peu lassant (on ne compte plus les morceaux du genre sur les trois derniers disques des Sudistes), il faut attendre Mary pour voir du changement, des guitares plus frénétiques et métalliques, un chouïa de morgue, et même du saxo. On s’emmerde ferme pendant The Face et surtout The Immortals, qui ne parviennent ni à surprendre, ni à rassurer. Heureusement, Back Down South sauve les musiciens du naufrage et les replace le temps d’un air country sur les rails de leurs origines géographiques. Voici clairement le meilleur moment de ce Come Around Sundown, une véritable parenthèse heureuse et chaleureuse, douce mélopée acoustique soutenue par un violon paysan et des clappements de main gospel pour donner du rythme à un album qui en manquait cruellement jusque là. La fin du disque étire son filon commercial et FM avec brio mais sans génie, et ne se réveille que le temps d’un No Money enfin percutant et testostéroné. Produit par le très carré Jacquire King, l’ensemble manque trop d’allant pour convaincre. Les gars font le métier sans s’amuser, à l’image des petits piaillements de leurs guitares, qui harmonisent gentiment, à la coule, comme des chihuahuas castrés. Ça aboie, mais ça ne mord pas. Le final Pickup Truck maintient le cap neurasthénique en dépit d’une bonne volonté indéniable.
Sans doute le disque gagne-t-il en intérêt au fil des écoutes, à l’image de ses prédécesseurs. On aimerait cependant que le groupe se réveille et prenne conscience que sa stratégie commerciale a trop pénétré la musique pour que celle-ci n’en pâtisse pas. Certes, ils ont gagné dans l’affaire des millions de fans mérités (on le souligne), mais ils risquent de les perdre tout aussi vite s’ils ne réagissent pas, une désaffection hypothétique dont on a entrevu les prémisses lors de l’affaire des chiures de pigeons pendant un festival à Saint-Louis dans le Missouri en juillet dernier. Après l’arrêt inopiné du concert, le batteur Nathan Followill s’était excusé auprès de la foule : « Désolé Saint-Louis. Nous avons dû abandonner. Les pigeons ont chié dans la bouche de Jared et ce n’était plus possible de continuer. N’en voulez pas à Jared. » Bien qu’imaginer la bouche de Jared remplie de guano soit insupportable à beaucoup d’entre nous, force est de constater que l’attitude des Kings Of Leon commence à en agacer plus d’un. Jusqu’ici, la musique restait bonne. Maintenant, il va falloir se sortir les doigts, comme disait ma grand-mère, qui commentait les matches de foot sur Skysports.
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