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par Aurélien Noyer le 18 novembre 2008
Paru en 1970 (Savarah)
"Ce sera tout à fait comme à la radio.". Tu parles... Rarement les premiers mots d’un album auront aussi mal annoncé le contenu qui allait suivre. Comme à la radio est un disque qui n’est pas, n’a jamais été et ne sera jamais "comme à la radio". Mais avant de le décrire plus en détail, remontons quelques décennies en arrière...
... à une époque où Brigitte Fontaine n’est pas la momie desséchée qui amuse la galerie chez Fogiel, où elle n’est pas un vestige incapable de chanter correctement, où elle n’est pas adulée uniquement par des bobos voulant montrer à quel point ils peuvent être décalés ou par les membres de Sonic Youth, toujours prêts à vénérer de la merde s’ils peuvent faire croire que c’est culte.
... à une époque où la musique en France se situe majoritairement entre mauvaises imitations du rock anglo-saxon et chanson française dont les meilleurs représentants (la trinité Brassens-Brel-Ferré) commencent à décliner.
... à une époque où, ailleurs qu’en France, sortent quelques albums séminaux repoussant les limites de ce qu’il était possible de faire dans le cadre de la musique dite "populaire" : au hasard, Trout Mask Replica, Yeti d’Amon Düül II, Bitches Brew, Atom Heart Mother.
En France, trois albums majeurs sauvent l’honneur d’une production discographique qui, sans eux, aurait été vouée aux gémonies. Le premier, pas le plus original, narre les aventures d’un Gainsbourg aux prises avec ses sentiments pour une nymphette nommée Melody Nelson. Le deuxième, La Mort d’Orion, voit Gérard Manset expérimenter de façon plus que convaincante l’union des instruments rock et du lyrisme symphonique. Le troisième enfin, fruit de la collaboration de Brigitte Fontaine, d’Areski Belkacem, du trompettiste Leo Smith et de l’Art Ensemble Of Chicago, célèbre les noces improbables de la poésie dadaïste, du jazz d’avant-garde et de la musique nord-africaine.
La rencontre entre le couple Fontaine-Areski et les jazzmen américains en goguette à Paris s’est faite dans un premier temps lors d’une série de concerts au Théâtre du Vieux-Colombier, concerts qui déboucheront logiquement par l’album Comme à la radio.
Largement tombé dans l’oubli, ce disque est pourtant d’une intemporalité stupéfiante, car au contraire de ses congénères expérimentaux, il ne témoigne à aucun moment d’une quelconque volonté démonstrative dans l’expérimentation : là où beaucoup d’albums de l’époque, à l’instar du Trout Mask Replica de Beefheart, s’appliquent à aller ostensiblement à contre-courant de toutes les conventions musicales de l’époque, Comme à la radio préfère redéfinir les axiomes musicaux et développer à partir de là une musique inédite.
Contrairement aux usages, l’Art Ensemble Of Chicago base essentiellement sa musique sur le rythme : influencé par la polyrythmie des musiques africaines, le quintet met largement l’accent sur l’originalité rythmique, les multiples instruments à vent de Lester Bowie, Roscoe Mitchell et Joseph Jarman produisant un complément plus rythmique que mélodique. Cette originalité sera renforcée par l’absence de batteur, chaque membre participant d’un pied ou d’une main à la construction rythmique des morceaux... ce qui n’empêche pas le bassiste Malachi Favors de s’adapter et de livrer des lignes de basse en totale adéquation avec les rythmes étranges. Leo Smith, quant à lui, apporte une sonorité directement inspiré des travaux de Miles Davis, tout en trompette évanescente sur l’instrumentale Léo. Et ce qui choquera sans doute l’auditeur lors de la première écoute, c’est l’épure des arrangements. Poussant leur logique jusqu’au bout, les excellents souffleurs présents acceptent de limiter leurs interventions au minimum ou de se retrouver sous-mixés, laissant de l’espace au duo Areski/Fontaine.
Sur cette base jazz, le premier va rajouter des éléments musicaux issus de ses origines kabyle. Ainsi, outre des rythmes orientaux entêtant, L’été l’été et Lettre à Monsieur le chef de gare de la Tour de Carol voient un oud venir enrichir les arrangements offerts à la voix de Brigitte Fontaine.
Et malgré l’incroyable originalité de la musique, c’est peut-être la voix de la chanteuse qui surprendra l’auditeur. Bien loin de la voix rocailleuse, fausse et hors du temps à laquelle elle est désormais habituée, la voix de Comme à la radio se fait douce, apaisante et tranchant radicalement avec le contenu dadaïste des paroles. Outre les petits coups d’éclats comme "Merci, mon Dieu, d’avoir inventé Marx... Vous étiez pas obligé", "Mon mari a été exécuté ce matin. J’ai pris ça très mal. Question : qu’est devenu mon sens de l’humour ?", il faudrait retranscrire au moins l’intégralité des chansons Comme à la radio et Lettre à Monsieur le chef de gare de la Tour de Carol pour rendre justice à la qualité d’écriture de Brigitte Fontaine. D’ailleurs, pour la plupart des titres, elle préférera un talk-over impeccable à un chant plus conventionnel, mettant ainsi en avant l’absurdité volontaire de textes qu’elle récite d’une voix presque atonale.
Fascinant par chacun de ses aspects musicaux ou poétiques, Comme à la radio, s’il n’a pas atteint le statut glorieux d’un Histoire de Melody Nelson, fait partie de ces trop rares albums à redécouvrir d’urgence : un album comme ça, ce serait trop bête de le laisser à des bobos crétins ou à ces enfarinés de Sonic Youth...
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