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par one minute in the dream world le 23 juin 2009
Paru le lundi 8 juin 2009 (Matador Records)
A l’heure où sort ce bien nommé The Eternal, Sonic Youth peut se targuer d’une carrière plus que conséquente, exemplaire dans l’attitude et dans le contenu discographique. Adepte de l’expérimentation et de la prise de risques, le groupe a en effet évolué de débuts marqués par son manque de maîtrise (pratique), ce qui ne l’a pas empêché de se distinguer dès son premier opus éponyme, répétitif et obsédant, pour ensuite développer, au fil des albums, cette identité noisy à laquelle il allait faire revêtir différentes parures, jusqu’à trouver un équilibre incertain basé sur ce son sans fioriture, et pourtant extrêmement réfléchi, autant qu’il peut paraître instinctif et déconstruit, qui très vite est devenu sa marque de fabrique, son signe distinctif. Se basant entre autres sur ses goûts artistiques pour écrire et composer, il allait ainsi passer d’un album reconnu depuis longtemps comme une pierre angulaire du rock américain (Daydream Nation), en laissant derrière lui des travaux grandioses comme Evol, Bad Moon Rising ou Sister, à un Goo assez poppy, mais fait d’une pop à la Sonic Youth. J’entends par cela déviante, jamais conventionnelle, déchirée par ces orages noisy délectables que l’on peut trouver sur tout disque du désormais quintet new-yorkais.
Ces envolées "dirty" à souhait, la Jeunesse Sonique les module à sa convenance et au gré de ses envies et humeurs ; sur Dirty justement, elles prirent une direction moins "étendue", plus sobre, pour ensuite s’étirer de nouveau sur Murray Street, et avant cela, Washing Machine et son fabuleux The Diamond Sea. Sans oublier un Experimental jet-set, trash and no star aux morceaux plus éphémères. Ceci ayant pour effet de générer un résultat brillant, captivant, pas toujours facile d’accès mais complètement addictif dès lors que l’on a consenti à l’effort d’écoute et d’assimilation nécessaire à la compréhension et à la "maîtrise" des albums de la troupe renforcée depuis peu par Mark Ibold, ex-bassiste des non moins géniaux Pavement.
Seul Sonic Nurse, plus linéaire, moins riche de ces épopées noisy marquantes et stylistiquement bien tenues par le groupe dans le sens où elles peuvent prendre des inflexions pop, hardcore, punk ou noisy sans jamais faiblir ou sonner "forcé", s’avérant être à mon sens une -relative- déception.
Sur Rather Ripped, le groupe allait effacer ce léger "faux-pas" en revenant à des prétentions pop, signant en cette occasion un disque proche de l’excellent Goo sorti seize ans auparavant, dans une trame plus strictement poppy jalonnée par ces déchainements instrumentaux sans égal. Parallèlement à cela, sortent les disques sur SYR, le label du groupe, hautement expérimentaux et qui n’en crédibilisent que d’autant plus la démarche et les options prises par Sonic Youth à chacune de ses productions. Dernièrement, le groupe semble avoir pris un tournant décisif en changeant de maison de disques, quittant Geffen pour le farouchement indé Matador qui se voit donc confier la sortie de The Eternal et booste visiblement un groupe affichant une forme étincelante.
S’il ne révolutionne pas l’univers des Moore, Gordon and Co (mais comme le dit très justement Olivier Drago, qui attend encore de grands bouleversements dans l’œuvre principale d’un groupe en activité depuis presque 30 ans ?), The Eternal entérine ce que Rather Ripped avait mis en place au niveau "structure" ; des formats plus courts et des embardées noisy plus sobres, moins atmosphériques et d’autant plus rageuses et significatives. De surcroît, Sonic Youth laisse de côté la "sagesse" inhérente à Rather Ripped pour revenir à une attitude nettement plus rock, des rythmes souvent affirmés et des guitares furieuses, pour nous offrir, au final, un album de haute volée. Un disque qui, à l’image de l’œuvre du groupe dans son intégralité, ne ressemble à aucun autre et met en exergue la capacité du groupe à évoluer au sein d’un format no-wave qu’il a lui-même créé ou réadapté, sans bouleversement notoire mais dans une certaine cohérence et de façon très "pensée". On ne sait d’ailleurs jamais à quoi s’attendre avec Sonic Youth, si ce n’est que la base sera de toute évidence liée à la no-wave que j’évoque plus haut. De ce fait, bien malin qui saura dire quel sera le contenu des prochaines productions.
Pour l’heure, revenons-en à ce The Eternal qui débute par Sacred Trickster chanté par Kim, rapide, colérique et doté d’un riff dynamite. Un morceau tendu, à l’image de ce qui suit, à commencer par Anti-Orgasm. Ce second titre, outre le faut qu’il innove quelque peu en associant Kim et Thurston dans le chant, nous offre six minutes d’un rock noisy décoiffant, saturé, magnifiquement tempéré sur ses deux dernières minutes par une plage apaisée. Le groupe remet les deux doigts dans la prise et renoue donc avec une électricité indomptable qui constitue le fer de lance de l’opus en présence. Profitant de sa liberté et d’un esprit forcément aventureux, il nous gratifie de standards maison et d’une collection de douze titres dont aucun n’offre prise à la moindre critique.
Que du haut de gamme donc, entre Leaky Lifeboat (for Gregory Corso) et son riff une fois de plus explosif, un Antenna à la fois posé et radical dès lorsque ses guitares haussent le ton, ou What We Know chanté par Lee de façon aussi marquante que sur, par exemple, Mote issu de Goo, et porteur d’une énergie renversante, de guitares volubiles et jouissivement saturées (mais aussi d’une rythmique de feu, ici affirmée et reptilienne, assurée par Mark et Steeve) pour en arriver à Calming the Snake. Sur ce dernier, Kim alterne chant rageur et parties plus spatiales, le tout dans une tension et une fureur quasi-hardcore à peine bridée par un groupe en plein renouveau. Les explosions, les excès vocaux et instrumentaux sont ici plus brefs, dégraissés et à l’arrivée plus percutants encore, ce qui fait de cette première moitié d’album une réussite totale, un festival sonore et vocal étourdissant.
Poison Arrow inaugure donc la seconde partie et force est de constater que la vigueur affichée par les vétérans no-wave ne baisse pas d’un iota. Simplement, ils la tempèrent en certains occasions, comme sur l’intro de Malibu Gas Station, pour affiner leur propos et affirmer la structuration des titres. Et si l’énergie prévaut, cela ne se fait jamais de façon gratuite, mais minutieuse comme en atteste l’alliage entre cette force incoercible et des velléités plus apaisées, d’autant plus judicieuses qu’elles mettent parfaitement en exergue l’allant constaté en de nombreuses occasions.
Thurston annonçait il y a quelques mois un album de "juicy songs" ; il ne se trompait pas, loin, s’en faut, et en effectue lui-même la démonstration sur Thunderclap For Bobby Pyn, mordant et porté par des guitares dont le groupe seul a le secret. No Way qui lui succède est du même tonneau : soutenu, énergique, saturé, porté par cette électricité aussi appréciable dans ses élans saturés que dans ses penchants plus mélodiques. Il est d’ailleurs à noter que la dissonance, la promiscuité des six-cordes massives et plus claires fonctionne ici, et comme souvent avec le groupe, à merveille. Arrive ensuite Walkin’ Blue, Lee usant ici du micro pour la seconde fois. Sur ce morceau, Sonic Youth use dans un premier temps d’un format pop-rock presque classique, qu’il vitriole ou enjolive à l’envie par le bais de ces guitares magistrales, et dont il modifie le tempo avec à propos sur sa dernière minute.
On en arrive alors à la fin de l’album, et là, c’est une pièce de choix qui nous est réservée sous la forme de ce Massage The History changeant dans ses humeurs, de près de dix minutes. Une superbe épopée à la...Diamond Sea, superbement (dés)équilibrée entre quiétude et tonnerre noisy, d’abord lancinante puis complètement déchainée. Une chanson représentative de la liberté de Sonic Youth, de l’esprit qui l’anime et de ce que cela peut générer lorsque celui-ci laisse libre cours à son inspiration, à ce côté "free" assumé et revendiqué, et l’étend au delà du format habituel.
Pour conclure donc, Sonic Youth livre là un album remonté, d’une inspiration constante, plus direct que la plupart de ses productions discographiques, et surprend une fois son monde en continuant à s’inscrire dans un schéma qui lui appartient. Le tout de façon complètement cohérente, dans la continuité d’une démarche elle aussi entièrement personnelle, sans bouleverser son univers. Bien au contraire, l’édifice sonore élaboré par le groupe continue à évoluer, se complète, à la fois déconstruit et remarquablement conçu, et à l’écoute d ’un tel album, a plus que jamais fière allure, droit comme un I au milieu de ses prédécesseurs et des parutions rock actuelles et passées.
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