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mercredi 15 avril 2015
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par Emmanuel Chirache le 29 août 2011
A l’heure où le John Butler Trio nouvelle formule (le contrebassiste Shannon Birchall et le batteur Michael Barker ont été remplacés) publie un live enregistré à Red Rocks, l’amphithéâtre naturel mythique où U2 avait écrit sa légende, il est temps de se pencher sur la trajectoire d’un groupe à l’étrange destinée. Étrange car un peu surprenante, et surtout très changeante. J’ai découvert le trio en 2004 dans un Virgin marseillais, à l’époque où les bornes d’écoute faisaient florès et où j’habitais dans la cité phocéenne. A Marseille, il n’y a pas beaucoup d’endroits pour découvrir du rock, et le Virgin faisait curieusement partie de ces endroits, grâce à un rayon plutôt bien achalandé. Peut-être en est-il autrement aujourd’hui ? Bref, mon regard finit par tomber sur Sunrise Over Sea et à peine le casque sur les oreilles et Treat Yo Mama lancé, que PAF ! de la slide-guitar, comme ça, sans prévenir. Du Ben Harper dans sa meilleure période folk-blues, mais avec un feeling différent. Le flow est presque rappé, le son de guitare est moderne. Putain, la slide prenait un sérieux coup de jeune. Mieux encore, le disque regorgeait de tubes potentiels, à commencer par Zebra, qui emporta mon adhésion. Le John Butler Trio entrait donc dans ma discothèque et je lui prédisais un bel avenir.
En réalité, j’étais loin d’imaginer que ce guitariste australien qui jouait dans la rue durant les années 90 allait devenir aussi énorme. Les premiers succès du groupe sont modestes, surtout locaux, et John Butler écume le circuit plus ou moins confidentiel des guitaristes blues, où il croise la route de son compatriote Tommy Emmanuel mais aussi d’un certain Bjørn Berge. Si Butler et Berge peuvent à l’époque partager l’affiche d’un festival, le trio va vite surpasser en notoriété le soliste norvégien et ce en dépit de ressemblances entre les deux (ce n’est pas un hasard si Bjørn Berge a repris Zebra sur Fretwork). Dès son premier album homonyme, John Butler donne une orientation pop à son jeu de guitare et son chant, là où ses concurrents se positionnent par et pour la guitare pure. Une ouverture qui lui permettra de sortir de la musique de genre pour plaire au grand public. Pour l’instant, il y a déjà quelques promesses sur ce disque, telles que les très bons Valley, Inspiration et le magnifique Ocean. Ce dernier est d’ailleurs un instrumental, symbole d’un attachement à une certaine tradition folk, blues et country où la virtuosité guitaristique occupe une place centrale.
En même temps qu’il fait honneur au blues et à la lap-slide, John Butler présente également une autre face, celle d’un hippie moderne entre rasta blanc fumeur de pét’ et écolo altermondialiste, ce qui colle parfaitement à un début de décennie pro taxe Tobin et forum social de Porto Alegre. Avec ses dread qui colle aux doigts et ses discours mielleux (cf. Sista ou les speeches des concerts), John tombe au bon moment. Mais le plus important, c’est que le trio sait groover et rendre attrayante une musique fondée sur le blues et mâtinée de reggae et de hip hop. Ainsi l’album suivant, Three, est une franche réussite dans la droite lignée de son prédécesseur. On y trouve à la fois des tubes brillants (Take et son riff singulier, Attitude et son air lancinant) et des morceaux davantage réservés aux aficionados du blues rock, comme la prouesse Pickapart, un régal de slide sur lequel on pourrait presque danser ! Le JBT est désormais une bête de compétition capable de composer plusieurs singles par disque. Dans un genre hyper codé, peu enclin à l’innovation et au potentiel commercial faible, il a réussi à imposer une identité originale faite d’amalgames divers (notamment entre électrique et acoustique) et d’efficacité pop.
En 2004, Sunrise Over Sea assoit en toute logique la réputation du John Butler Trio. Le guitariste est au sommet de son songwriting, capable de composer une belle ballade acoustique sur sa fille (Peaches & Cream), un blues à la lap-slide (Treat Yo’ Mama), un trip au banjo (Bound To Ramble ou un single parfait (Zebra). Au pays des kangourous, le disque est numéro un au box-office. Il se classe neuvième chez les voisins néo-zélandais, vingt-et-unième aux États-Unis et trente-sixième en France. Les Français réservent en effet un bon accueil au groupe, qui tourne beaucoup aux six coins de l’hexagone, dans des salles de plus en plus grandes et prestigieuses. Illustration : la première fois que j’ai vu le John Butler Trio, c’était au Bataclan en 2005, en première partie de Jude et Tété. Peu de gens connaissaient le groupe, qui a ridiculisé ses petits camarades devant une audience médusée. Je les reverrai ensuite seuls à l’Espace Julien de Marseille quelques mois plus tard, puis à l’Olympia en 2007 entouré de cols blancs sortis du bureau pour écouter les singles du JBT. Aujourd’hui, le groupe remplit le Zénith de Paris, participe aux Solidays et fait une dizaine de dates en France pour la promo de son dernier album !
En 2005, John Butler fait même la couverture du magazine Crossroads avec le titre "Phénoménal". Un an plus tard, il orne la une du prestigieux Rolling Stone américain. Mais ce sont évidemment les magazines spécialisés dans la guitare qui se délectent de ses interviews et de ses leçons de guitare, afin de tout connaître sur ses accordages, son matériel et le secret de sa fusion électro-acoustique. Après le succès de Sunrise Over Sea, Guitarist Magazine le présente un peu abruptement sur sa couverture comme le "nouveau Ben Harper", tandis qu’un numéro d’août 2006 de Guitar Part propose un DVD avec une masterclass du guitariste, en une du journal avec sa slide sur les genoux. Depuis, John Butler fait régulièrement des apparitions dans les pages de ces magazines ou d’autres, tels que Guitar Unplugged et Guitare sèche, alors qu’il est singulièrement quasi absent de la presse rock plus grand public comme Rock & Folk et les Inrockuptibles. Ce sont finalement les gratteux du monde entier qui ont fait du chanteur leur star, même si son succès touche d’autres franges du public via RTL2 ou les grands festivals. Pour beaucoup, l’écoute de John Butler est l’occasion de (re)découvrir la slide-guitar, les accordages en open G et l’utilisation des pédales à effets sur une électro-acoustique. On cherche ses tablatures sur le net, on mate les tutoriaux youtube parfois réalisé par le maître en personne (genre, comment jouer et battre le rythme en même temps) et on essaye de reproduire ses morceaux, avec plus ou moins de succès. L’autre raison d’une telle réussite, c’est le regain d’intérêt général pour le genre acoustique, symbolisé aussi par d’autres artistes : Rodrigo y Gabriela, Bjørn Berge, Tommy Emmanuel, Nosfell et j’en passe.
Hélas, Grand National va marquer une évolution moins intéressante, bien qu’une poignée de morceaux restent corrects voire brillants (Funky Tonight, Daniella). L’ensemble semble se ramollir et tourner en rond, à l’image des speeches live du guitariste, toujours un peu pareils et pas très originaux. Pire, certaines chansons ressemblent plus à de la gui-mauve qu’à de la gui-tare. Les bons sentiments dégoulinent ici ou là, et la qualité en pâtit. John Butler lui-même sent qu’il ne faut pas figer sa musique, mais provoquer quelques électrochocs pour aller de l’avant. Il décide donc de débarquer les excellents Shannon Birchman et Michael Barker pour engager à leur place Byron Luiters à la basse et son beauf Nicky Bomba, qui jouait dans un groupe de reggae (mauvais augure !), aux percussions. Côté business, le groupe change de label européen et signe chez Because Music, un label français indépendant aux visées ambitieuses (cf. le rachat du catalogue de Claude François). Because est aussi le label de Manu Chao, Moby et Keziah Jones, c’est-à-dire des artistes très connus mais dont la carrière est finissante... John Butler bouscule donc sa routine. Peine perdue : April Uprising est une grande déception. Un gloubiboulga nineties (échos de Pearl Jam, Counting Crows, Incubus et Ben Harper) informe et commercial. Le verbiage politico-mystique a pris une place grandissante qui ruine les efforts entraperçus sur quelques titres.
Aujourd’hui, la sortie d’un CD/DVD du concert à Red Rocks installe un peu plus John Butler dans la légende du rock. A cet endroit, U2 avait lancé sa carrière internationale en 1983 en sortant Under A Blood Red Sky et surtout une VHS devenue légendaire. Espérons pour nos oreilles que John Butler ne va pas se transformer en Bono des années 2010, et qu’il reviendra à de plus sages considérations guitaristiques. Vous me direz, devenir le nouveau Bono, c’est toujours mieux que devenir le nouveau Manu Chao.
Vos commentaires
# Le 29 août 2011 à 17:23, par nash En réponse à : The other slide of the John Butler Trio
Jolie récap’ du funeste destin de ce trio, en particulier sur le virage reggae (impressionnant comme le public des concerts est devenu bobo-rasta d’un coup) et sur son engagement politique de petit enfant.
Le bassiste et surtout le batteur était bien fun donc je ne suis pas prêt de réécouter s’ils se sont faits débarquer...
# Le 21 septembre 2011 à 14:58, par Evu En réponse à : The other slide of the John Butler Trio
# Le 21 septembre 2011 à 18:32, par Emmanuel Chirache En réponse à : The other slide of the John Butler Trio
Je sais bien que le groupe a beaucoup changé ses membres au fil des ans, mais tu permettras que je préfère Barker et Birchman. Ensuite, tu n’as pas bien lu : je pense que ça peut être une bonne chose de renouveler ses membres pour aller de l’avant, sauf que je n’aime pas, mais alors pas du tout, la nouvelle orientation du groupe. C’est mon droit, point barre.
Hélas, un "fan" a rarement l’ouverture d’esprit suffisante pour accepter la critique. Le plus drôle, c’est que tu ne fais même pas attention au fait que la plus grande partie de l’article fait l’éloge du JBT !
# Le 21 septembre 2011 à 20:09, par Evu En réponse à : The other slide of the John Butler Trio
"Hélas, un « fan » a rarement l’ouverture d’esprit suffisante pour accepter la critique"
Pour cela il faudrais que je sois fan comme tu dis, helas, je suis de la scène metal, mais en tant que musicien, je me tourne vers tout les genre musicaux si tu veux me caser dans la case fan, mets moi dans celle de motorhead alors :).
Ensuite on reste d’accord que tu fais part d’un point de vue purement personnel dans ton article car tu comme tu le dis "sauf que je n’aime pas, mais alors pas du tout, la nouvelle orientation du groupe. C’est mon droit, point barre." Sauf que en tant que redacteur de webzine, il doit y avoir dans tes articles une impartialité. Ensuite pour la grande partie sur l’eloge du groupe, oui et non, c’est plutot une retrospective des plus ou moins grands evenements de celui ci, mises a part les premieres lignes ou tu dis que tu aimes. Ensuite la conclusion d’un article a aussi son importance, je ne suis pas literraire mais il me semble que c’est ce qui degage le fond et l’idee principale du sujet, donc on ce que l’on retiendra de celui ci. Ensuite pour revenir a l’ouverture d’esprit, et bien je t’invite a me connaitre :)
ceci dit je maintiens mon avis sur le commentaire de nash, surtout sa derniere phrase.
# Le 22 septembre 2011 à 00:17, par Emmanuel Chirache En réponse à : The other slide of the John Butler Trio
Désolé de t’avoir trop vite assimilé à un fan, mais j’ai déjà eu maille à partir avec eux, et ils sont souvent obtus...
Je te réponds juste sur un point où je suis en désaccord avec toi : il n’y a pas à mon avis d’impartialité ni d’objectivité possible (voire ce n’est pas souhaitable) dans une critique sur la musique. Mais il y a un point de vue subjectif, qui passe mieux quand il est argumenté. Ici, j’estime juste que John Butler a pris ces dernières années un virage plus pop et reggae qui ne me séduit plus. Il se ramollit et se concentre un peu trop sur son message à mon goût. Du coup, j’ai tendance à regretter ses débuts, plus audacieux, plus bluesy.
Bref, ça ne m’empêche pas d’écouter toujours "Pickapart" avec délectation.
# Le 22 septembre 2011 à 03:59, par Evu En réponse à : The other slide of the John Butler Trio
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