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mercredi 15 avril 2015
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par Yuri-G le 29 avril 2008
paru le 24 mars 2008 (Barclay/Universal)
Six ans après une Imprudence vénéneuse, goudronnée par un sentiment de dépression magistral, Bleu Pétrole s’ouvre sur la simplicité acoustique de Je T’Ai Manqué. En six ans, Bashung a respiré. Cette longue maturation l’a éloigné des rivages de suie de son précédent effort. Peut-être même de quatorze années d’angoisse sourde. Coup sur coup, Chatterton, Fantaisie Militaire et L’Imprudence n’étaient pas des plus apaisés. On se ressource difficilement avec ces disques. Davantage explore-t-on l’inquiétude, au compte-goutte des jours sombres. Ainsi Bleu Pétrole prend les émotions à revers : il va nous adoucir. Nous donner du souffle, nous élever. En choisissant sa nouvelle couleur onctueuse en bouche, Bashung explore une humeur. La sérénité.
Plusieurs personnalités ont présidé à la création de l’album. En premier, Gaëtan Roussel, la voix de Louise Attaque. C’est à lui que revient l’écriture de la majeure partie des titres - ainsi que la production, avec Mark Plati. Puis Gérard Manset, que Bashung reprend directement (Il Voyage En Solitaire), livre aussi quelques compositions. On croise encore Arman Méliès, M. Ward, Marc Ribot. Des beaux noms. Et Bashung dans tout ça ? Il dirige, il tranche. Il a le final cut. C’est un peu court, vous aurez raison. Il déclame les textes de sa belle voix, il a une présence. Le savoir investi dans l’écriture nous aurait malgré tout mis plus à l’aise.
Bleu Pétrole est donc tourné vers une americana mélancolique. Les guitares acoustiques sont sur le front, claires, proches. Le son est assez dégagé. On comprend dès Je T’Ai Manqué que Bashung privilégiera une expression directe. Chacun doit pouvoir s’approprier l’album. L’Imprudence - encore elle - était tissée de cordes pesantes, promptes à donner le vertige. Ici, les arrangements s’écoulent avec naturel : banjo, ukulélé, piano, violons, vibrato rêveur saisissent au vol. Ils composent un paysage simple. Peut-être celui d’une ville minière abandonnée à son sort de poussière et de terre sèche, où Bashung vient trouver refuge sur la pochette. La musique se veut aussi limpide et évocatrice que ce décor. Parfois elle échoue. Trop léchée pour épouser la rugosité des dunes, quelques titres neutres, avec des guitares aux limites du facile et de l’impersonnel, introduisant le doute. Mais lorsqu’elle atteint son idéal, cela donne Comme Un Lego. Neuf minutes suspendues. La voix noueuse de Bashung prend de la hauteur, les mêmes accords guitare-piano partent à la dérive, placés sous un crépuscule testamentaire. Les textes explorent la beauté d’une humanité si faible, captive d’une immensité des temps et des espaces comme d’une petitesse existentielle. Sans détours, on est touché. Car tout est donné, la mélodie, l’émotion, en épure et en recherche.
Ce disque a ainsi des faiblesses distinctes. Alain Bashung n’y comble pas toujours nos attentes. Telle la reprise de Leonard Cohen, Suzanne, passable face à son illustre originale, quelques morceaux transparents viennent tempérer le propos, auxquels il manque un songwriting plus développé, plus intime. Peut-être est-ce au regard du passif d’un artiste volontiers complexe et sombre ?
Somme toute, l’album est le plus réussi lorsqu’il fait mine de composer de simples airs dépouillés, mais pour mieux les étoffer de gammes américaines (folk et country luxuriants), au ressenti dense. C’est dans ces évocations de western métaphysique que Bleu Pétrole fait mouche. Ainsi Tant De Nuits, encore à la rangée des beaux titres : une dramaturgie envoûtante, auréolée de violons et de banjo tristes, dispose le chant de Bashung comme pour une sérénade suppliante. Le talk-over d’hier évaporé, Jean Fauque écarté des textes, les mots se font moins cryptés, la voix se libère. Pour dire tranquillement la mélancolie. Enfin, Il Voyage En Solitaire, reprise de Manset donc (ne connaissant pas l’originale, on se passe de comparaison). Accents dénudés, slide paisible touchent une fibre nocturne. Une telle ambiance suffit à notre bonheur. On imagine le désert, un ciel glacé, un ermite en paix avec son repli. Bleu Pétrole se referme.
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