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Flowers For Hitler

Flowers For Hitler

Leonard Cohen

par Vyvy le 8 janvier 2008

4,5

Paru en 1964

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L’année est 1964, et Leonard Cohen a 30 ans. Il publie, avec verve et humour, son troisième recueil de poésie. Quelques mois plus tôt, c’était l’heure de la prose, avec The Favourite Game, premier roman, mais pour un Cohen pour qui prose, roman et chanson sont parties d’un même continuum de possibilités, il n’est rien de plus aisé et efficace que de sauter de l’un à l’autre, puis de l’autre à l’un. Le chant, bientôt omniprésent, est encore alors intimiste. Les cinq accords en sa possession le démangent, et il écrit des chansons, il adapte ses poèmes, mais « l’heure du folk » n’est pas encore arrivée. Cohen ne se voit pas encore comme un hypothétique Dylan Canadien, et cherche juste à suivre les pas d’un Ivring Layton ou d’un Louis Dudek. Poète de Montréal, de langue anglaise, de tradition juive, avec des penchants certains vers l’isolation, la drogue et la feinte ou réelle dépression, Cohen s’affirme en toute singularité comme l’étoile artistique montante d’un pays ayant toujours su bien traiter ses artistes.

Ce recueil, qui vient après le succès de The Spice Box of Earth, va se trouver réceptacle d’un poète aux maintes lubies, hanté par l’Histoire, par la guerre, tiraillé entre le Canada exubérant et la spartiate Hydra, entre sa recherche de La Femme et son amour des femmes. Enraciné mais se redéfinissant sans cesse, Cohen hésite entre la ligne et le cercle, position hautement inconfortable…

Flowers for Hitler choque. Sous couvert d’un tel titre, l’auteur annonce vouloir « [sonder] la pensée totalitaire de notre temps », présentation appuyée par la citation introductive de Primo Levi, enjoignant les hommes « libres » de ne pas vivre chez eux, ce qui leur est infligé au Lager. Entre Hannah Arendt et Irving Layton, Cohen parle du troisième Reich, et de ce qu’il en suivit, de cette « Dachau Generation » marquée par l’horreur non vécue mais narrée de la guerre. Layton, un des plus grands poète canadiens de l’après-guerre (si ce n’est le plus grand), profondément imprégné d’Auschwitz, en imprégne de fait la scène montréalaise et canadienne. Là ou certains, par respect pour ce qui s’est passé, se refusent à écrire, à ressentir dans cet ère post-génocidaire, Irving, et Leonard dans sa foulée respectueuse, vont prendre le parti pris d’en parler. D’occuper l’espace public. Pas par « devoir », mais par santé mentale. Par désir de rappeler le caractère humain (car l’œuvre d’humains) de ces actes inhumains, leur banalité. Non, ne pas les banaliser, mais refuser de considérer l’aventure hitlérienne comme un phénomène extra-historique, hors du temps, hors de l’homme. Ces poèmes ponctuent ainsi le recueil. Hitler, Hitler the Brain-mole, Goebbels Abandons His Novel And Joins The Party, ou enfin le cinglant All There Is To Know About Adolph Einchmann, donnant un portrait tellement banal du bourreau :

yeux : moyen
Cheveux : moyen
poids :moyen
(…)
intelligence : moyenne
 
Qu’attendiez vous ?
des griffes ?
des incisives démesurées ?
de la salive verte ?
 
la folie ?

Si Cohen, de par ses origines et ses maîtres à penser, ne « pouvait que » parler de ce sujet, il est intéressant de noter que son œuvre musicale sera bien plus sobre et silencieuse sur ceci. Mais ici, la guerre, l’Histoire d’hier et celle qui se fait, là, en ce moment, l’occupe, le taraude et le pétrifie.

I believe with a perfect faith in the Second World War.
I am convinced that it happened.
I am not so sure about the First World War.
The Spanish Civil War- maybe
(…)
I believe with a perfect faith in all the history
I remember, but it’s getting harder and harder to remember much history.

Son histoire à lui est canadienne. Et la politique est présente ici bien plus directement que dans la suite de son oeuvre. Non pas la grande politique, celles des idées irréalistes et des quêtes irréalisables, celle qui a fait et fait encore rêver. Non, la petite politique des petits gouvernements, celle dont on n’attend pas grand-chose et dont on entend souvent le pire, celles où les naughty protestants have governments to make them miserable et sur laquelle Cohen lui-même écrit Governments Make Me Lonely.

Mais, Cohen errant, son histoire est plus que canadienne. C’est celle d’un jeune poète pas révolutionnaire pour un sou, accueillant chez lui à New York un beau glaswegian allumé recherché partout et par toutes les polices d’Europe du Nord (Alexandre Trocchi, qui selon Guy Debord aurait toujours une ou deux révolutions en préparation), ce qui donne un Alexander Trocchi, Public Junkie, Priez Pour Nous aussi grandiose et grandiloquent que grand n’importe quoi. Celle où notre poète se retrouve en touriste en 1961 à la Havane, après avoir annoncé être « raide dingue de toutes les formes de violences » . Ce séjour, au cours duquel Cohen ne fait pas preuve d’une grande intelligence, faillit mal se finir, Cohen se faufilant in extremis hors des pattes de patibulaires cubains, doutant de son pacifisme innocent. Celle enfin où le poète cherche à se poser, dans l’hellénique et spartiate quiétude d’Hydra, petit île grecque où il partage son esprit avec bien des drogues et sa couche avec Marianne (et bien d’autres).

Entre la Havane, New York, Montréal et Hydra, Leonard Cohen se meut un peu partout, emportant ses lubies avec lui, les teintant très légèrement dans l’air du temps. La marque de l’Histoire, la marque du quotidien, cèdent le pas à l’Amour, l’érotisme, la quête de l’absolu ; au Canada, à l’hébraïsme, à l’indépendance du soi, et à cette recherche du Maître à penser, du professeur, qu’il cherche autant qu’il craint. La vie de Cohen va se dérouler ainsi, de femmes en femmes, de démons en lubies, de maîtres en maîtres (de son rabbin de grand-père à ses différents maîtres zen). Flowers For Hitler porte chacune de ces facettes, toujours présentes, mais dans des degrés variant avec l’âge et la progression de Cohen. L’écriture protéiforme de Cohen, refusant les rimes et la symétrie, immisçant au milieu d’un recueil et une courte nouvelle et une pièce en un acte, est libre. Libre d’aller coucher d’autres pages, agrémenter quelques arpèges, libre de continuer, encore aujourd’hui, à dire et faire ressentir.



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