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par Vyvy le 3 juin 2008
Paru en 1963
Né a Montréal, dans le quartier de Westmount, Leonard Cohen y a grandi, dans cette jolie maison familiale au 599 Belmont Avenue, où sa sœur d’ailleurs a vécu jusqu’il y a peu. Lawrence Breavman, le héro de The Favourite Game, aussi. Leonard Cohen est né d’un père militaire, mort trop tôt, et d’une mère d’origine russe, trop belle dans sa jeunesse pour accepter sainement sa vie de garde malade puis de mère seule, dont on n’a pas besoin. Lawrence Breavman aussi. Leonard Cohen a toujours entretenu un rapport très personnel au judaïsme, tout en grandissant dans une des familles de l’aristocratie hébraïque de Montréal. Lawrence Breavman aussi. Leonard Cohen est poète. Lawrence Breavman aussi.
The Favourite Game, premier roman d’un Leonard Cohen qui s’était avant tout inventé en tant que poète, est un bildungsroman, un roman d’apprentissage, initiatique, suivant Lawrence Breavman de l’orée de l’adolescence à la mi-vingtaine. Le chemin que suit Lawrence est celui de Leonard, et les deux hommes ne font souvent qu’un. Leonard Cohen, dans ce roman, utilise ses souvenirs et les années qui l’en démarquent pour apporter distance et ironie aux aventures du jeune homme. Le roman est ainsi ce qu’on peut appeler une "autofiction", à savoir la déformation romanesque d’événements réels de la vie du romancier.
Mais les raisons qui font que The Favourite Game est un très bon roman ne sont pas toutes liées au fait que le fan transi de Cohen peut rapprocher les affaires de Breavman de celles de Cohen. Le fan transi y trouvera évidemment son compte, mais le lecteur indifférent aux affres du Canadien errant pourra trouver son compte dans la prose à tendance poétique, dans la vision du monde développé ici à grand coup de tirades et de formules joliment tournées, dans l’ode à Montréal, qu’il magnifie, s’approprie, redéfinit et où toujours il retourne, dans l’agaçante tendance du héro à croire comprendre mieux que quiconque et à apprécier la beauté comme personne, dans l’abondance de sexe poétique, enfin dans la façon dont le héros accumule le passé, ne perd rien et ne laisse rien aller. Et s’enfouir, le temps de quelques 250 pages, dans la vie de Breavman, tiraillé entre la beauté des mots et la beauté des femmes.
Le temps de découvrir ce que c’est Montréal dans les années 40 et 50. Que l’on est Juif de bonne famille, et donc coupé de la plèbe francophone. Dans un pays, le Canada, ou personne ne se sent canadien. Où l’on se dit français, anglais ou juif, où l’on s’insulte de ces mêmes épithètes. Ce que c’est, de descendre de cette échelle sociale. De faire du yoyo sociétal. De faire quelque chose de culturel, ou de physique, dans un milieu de commerce et de finance. Temps aussi de découvrir New York au travers des yeux d’un canadien, donc d’un être partagé entre Europe et Amérique, ni étranger ni local, au travers d’un poète qui se noie dans la beauté de la ville, vous propose de le suivre au bout de la nuit, au marché des poissons où l’on trouve de tout, notamment des tortues vivantes, gardées pour des grands restaurants. Et vous en sauverez une, écrirez un message sur sa carapace et la libérerez dans la baie. Ou non, après tout, que ne peut on faire dans New York, lorsqu’on veut noircir des pages et trouver l’amour ?
Lawrence Breavman alterne entre solitude, introspection, et des relations très fortes et contrariées. Avec sa mère, qui en devient folle. Avec Krantz, son ami d’enfance, avec les nombreuses femmes qui traversent ses nuits. Dans ses relations il puise l’inspiration, mais il n’y a que seul qu’il peut écrire. En 250 pages se dévoile la vie de Breavman, tiraillée entre la beauté des mots et la beauté des femmes.
Dearest Shell, if you let me I’d always keep you four hundreds miles away and write you pretty poems and letters. That’s true. I’m afraid to live any place but in expectation. I’m no life-risk
Mais quittons Lawrence. Et retrouvons Leonard. Leonard, qui après deux recueils de poésie, signe ici son premier roman. Les critiques, certes non unanimes, seront tout de même, et ce encore aujourd’hui, plutôt voire très positives.
“Is there any Canadian novel as compelling and as good at capturing youthful anxieties as J. D. Salinger’s Catcher in the Rye ? Leonard Cohen’s first novel, The Favourite Game.” Voilà ce que l’on pouvait lire dans The Globe and The Mail de Toronto en 2000, lors d’un énième réédition. Mais voilà, le problème de ce chef d’œuvre, c’est que personne n’en n’a jamais entendu parlé. Ce grand roman du « coming of age » canadien est aussi un grand oublié…
Oublié, et refusé. Sa première version, Beauty at Close Quarter, est refusée par l’éditeur canadien de Cohen. Pourquoi ? Trop autobiographique, trop plein de sexe. Cohen devrait se concentrer sur sa poésie, qui lui vaut beaucoup d’éloges. Cohen va alors à Londres le proposer, on lui dit, "oui, mais trop long". Il en coupe la moitié, lors de longs mois de travail à Hydra. Au final le livre sort en 63, à Londres et New-York, se vendant à deux milles copies. Il sortira en 1970 au Canada.
Cet échec, non pas critique mais commercial, va faire son petit bout de chemin. Leonard Cohen, se rendant bien compte qu’il ne pouvait pas être autonome financièrement du fait de ses seuls livres, allait se tourner vers autre chose... Quoi, il ne le savait pas encore.
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