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par Emmanuel Chirache le 2 septembre 2009
Paru en juillet 2009 (Third Man Records/Warner)
Vous l’aurez remarqué, l’heure est aux super groupes, si possible avec un nom de merde. Il y a deux ans, on avait eu droit à The Good The Bad And The Queen associant Damon Albarn de Blur, Simon Tong de The Verve et surtout l’ex-Clash Paul Simonon. Aujourd’hui, ce sont Them Crooked Vultures et The Dead Weather qui font parler le petit monde exigu du rock. Car aux yeux de la presse et du public, rien de mieux qu’un super groupe pour mouiller sa culotte. Mais, pensons à ceux qui l’ignorent, qu’est-ce qu’un super groupe ? le super groupe est-il appelé ainsi parce qu’il est super ? possède-t-il des super pouvoirs, comme la saturation, le fuzz ou l’effet whammy ? Hé bien non, il s’agit en réalité d’un regroupement de rock stars hétéroclites qui décident de créer une nouvelle formation. Né dans les années soixante, ce concept connaît une espèce de mutation étrange depuis peu. Pensez donc, il existe même désormais des super groupes avec des types pas connus dedans ! Exemple : les Last Shadow Puppets, duo composé de Miles Kane des Rascals (qui ça ?) et Alex Turner des Arctic Monkeys (plus connu certes, mais pas vraiment une gloire internationale non plus).
Trêve de bavardages, posons la question essentielle, celle qui brûle les lèvres... Que vaut un super groupe ? Réponse : en général, le super groupe est bien mais pas top . C’est là tout son drame. Son intérêt réside finalement dans ce simple fait qu’il nous dévoile en négatif (comme celui d’un cliché photographique révèle un détail qui nous aura échappé au positif) l’essence du rock. A savoir qu’un groupe est une entité supérieure à la somme de ses parties, un constat tellement évident qu’on a presque honte de le formuler ici. D’ailleurs, certains super groupes ne prennent même pas la peine de trouver un nom à leur équipée, se contentant d’aligner leurs propres patronymes pour se résumer à une addition d’individualités, comme les fameux Crosby, Stills, Nash & Young, ou encore Beck, Bogert and Appice. A l’exception du Disraeli Gears de Cream et du Déjà Vu des susmentionnés CSN&Y, peu de grands disques sont donc nés de ce type d’association prestigieuse sur le papier mais souvent décevante dans la pratique. Car un groupe de rock, c’est un peu comme une équipe de foot : sans collectif, tout part en sucette. Et quand le Real Madrid période Galactiques sort le chéquier pour se payer trois ballons d’or (Zidane, Ronaldo et Luis Figo), il ne gagne pas plus de trophées qu’auparavant. Pourtant, le club en a fait rêver plus d’un et c’est bien cela que recherche le public à chaque nouveau super groupe qui apparaît. L’espoir insensé d’entendre le meilleur groupe de rock de tous les temps.
Combien d’hommes et de femmes ont ainsi fantasmé devant The Dirty Mac, cette jam éphémère entre John Lennon, Eric Clapton, Keith Richards et Mitch Mitchell le temps d’un Yer Blues, pendant le Rock’n’Roll Circus donné par les Stones ? Et comment ne pas écarquiller les yeux devant le line-up hallucinant des Traveling Wilburys, collaboration à la fin des années quatre-vingts entre Bob Dylan, Jeff Lynne, George Harrison, Tom Petty et Roy Orbison ? Peu après l’an 2000, certains ont bandé pour Audioslave (encore un nom de merde), réunion improbable entre Chris Cornell de Soundgarden et les Rage Against The Machine moins Zack de la Rocha. Au final, rien de mémorable à se mettre sous la dent dans tout ça. Aujourd’hui ce sont Them Crooked Vultures et The Dead Weather qui affolent les foules et enflamment les fans. Alors que les premiers ont secoué Rock en Seine récemment, les seconds ont déjà sorti un album au titre aussi peu inspiré que celui de la formation qui l’a engendré : Horehound. Mais le nouveau projet parallèle - après les Raconteurs - de Jack White mérite mieux que ces considérations lexicales.
Ne nous y trompons pas, nous avons bel et bien affaire à un projet parallèle du leader des White Stripes plutôt qu’à un super groupe en bonne et due forme. Car si c’est Alisson Mosshart des Kills qui orne la couverture du disque, si c’est Dean Fertita des Queens of the Stone Age qui tient la guitare et si c’est à la batterie qu’on retrouve Jack White, c’est bien ce dernier, par ailleurs producteur, qui tire les ficelles de la marionnette Dead Weather. Voici peut-être le plus grand enseignement de ce Horehound : l’homme s’est inventé une patte, un son reconnaissable entre mille, mélange de blues, de hard rock zeppelinien, d’effets whammy et de distorsion à la pédale Big Muff. Un cocktail qui s’adapte merveilleusement bien à la voix de VV des Kills (et il y a du Kills dans cet album, mais aussi du Raconteurs et un brin de QOTSA), sexy et rock à la fois. Dès 60 Feet Tall, les Dead Weather marquent leur territoire du côté d’un blues hypnotique et lancinant, tantôt calme, tantôt violent. L’ombre de Led Zeppelin apparaît le temps d’un plutôt réussi Hang You From The Heavens, tandis que Cut Like A Buffalo échoue à transcender un motif mélodique pourtant sympathique, quoique gâché par des bruits d’étouffement un peu énervants ("is that you choking ?").
Il faut avouer que Cut Like A Buffalo fait resurgir la crainte d’un disque à peine ébauché qui manque de finitions malgré des idées lumineuses, à l’instar de la plupart des morceaux des Raconteurs. Quelques titres n’échappent ici pas à la règle, tels que Rocking Horse, la reprise un peu vaine de Dylan New Pony et le fatigant No Hassle Night. A côté de ces légers "ratés", le groupe fait preuve d’une redoutable efficacité, notamment sur le single Treat Me Like Your Mother, déflagration sonore impressionnante sur fond de... synthétiseurs ! Autre réussite, Bone House ensorcèle l’auditeur et lui fait tourner la tête (hmm, les cris d’Alisson à la fin du morceau !) à grands coups de riffs trippants. Juste après, 3 Birds réussit le difficile examen de l’instrumental grâce à une alternance de climats bienvenue et intelligente. La chanteuse des Kills se paye même le luxe de signer seule un très intéressant So Far From Your Weapon, qui rappelle évidemment son duo avec Jamie Hince mais aussi, chose plus surprenante, les Canned Heat et leur On The Road Again. Pour clôturer le tout, le groupe finit sur un envoûtant Will There Be Enough Water que ne renierait pas Bob Dylan en personne (ce piano, cette guitare acoustique, cet écho, c’est Blind Willie McTell !). A noter qu’il existe également une très bonne cover du You Just Can’t Win des Them par le groupe, dont on recommande l’écoute.
Faut-il en déduire que le super groupe de Jack White est super ? Reconnaissons que sans nous convaincre totalement, Horehound nous séduit. Au milieu des nouveautés estivales, Horrors, Jay Reatard ou Arctic Monkeys, les Dead Weather sortent indéniablement du lot. Ils ont le son, ils ont le style, ils ont même quelques chansons imparables, ce qui est le principal. Même Jack fait plaisir à voir derrière ses fûts, la première place qu’il a occupée à ses débuts de musicien. Il paraît qu’en live, le groupe est énorme. On veut bien le croire.
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