Dernière publication :
mercredi 15 avril 2015
par mot-clé
par index
par Lazley le 2 juin 2009
A small introduction...
Still Crazy (1998) n’est au premier abord qu’une comédie inoffensive anglaise. Sorte de Spinal Tap sympatoche et plan-plan, elle présente cependant un intérêt considérable pour qui aime à voir les « mythes » rock se faire percer la couenne, sous les traits de Ray Simms (interprété par un Bill Nighy oubliant son flegme pour l’occasion), le chanteur du vrai-faux groupe Strange Fruit.
Ancienne gloire de seconde zone des seventies, hédoniste repenti ayant troqué pattes d’éph’ et groupies contre un culte du soja et une succube ultrablonde, ce « connard avec du coffre » - dixit Les Wickes, bassiste de SF -propulse jusqu’à l’orée du XXIe siècle ce que le personnage de David St-Hubbins (Spinal Tap encore) esquissait en 1982, soit la fatuité presque totale et le dénuement enfantin du rock singer face aux problèmes de son temps.
Et dieu sait que ces obstacles-là sont légion. On pourrait se lancer dans un long inventaire, fort des exemples plus ou moins récents polluant les mémoires (Jagger, Tyler, Daltrey, Plant, Iggy, pour ne citer que ceux-là), mais on se contentera d’exposer un petit tableau du film qui semble cristalliser avec pertinence ces travers : Strange Fruit s’ébroue du côté de la sortie des artistes, après un concert come-back particulièrement chaotique. Une petite nuée de paparazzis et autres tendeurs de micros intempestifs déboule de nulle part… Pour se précipiter vers Simms, rose de plaisir mais balbutiant des réponses complètement écervelées. La réaction de Wickes, éminence grise - et déchue bien sûr - du groupe se passe de tout commentaire : « Why do they always think the singer is the leader ? »
Voilà qui résume une bonne quarantaine d’années de ravages d’un colossal imbroglio presqu’inhérent au rock, celui qui fit de tant de belles gueules aux jolies vocalises mais à la cervelle de piaf les figures de proue par défaut de formations qui auraient mérité mieux. Dans bien des cas, c’était suffisant pour donner quelques résultats pas dégueu, c’est vrai. Mais il faut bien admettre que le chanteur de rock, cette sculpture si facilement friable du gros bélier binaire, ne s’est que trop rarement trouvé en position de force de par sa seule voix.
C’est à croire que, plus branque que ses collègues tripoteurs de manche ou jongleurs sur baguettes, ce vociférant comble son absence d’excroissance instrumentale par une surenchère de rock attitude. Comme s’il employait sa glotte comme excuse, en somme…
Mais figures-toi, ô ami lecteur, qu’une insaisissable exception se fraye un chemin depuis 20 ans tout pile dans ce paysage sévèrement racorni parfois des mangeurs de micro. Violente, alternant entre le débilissime suprême et la surchauffe complexiteuse, on la connaît sous force aliases, mais c’est bien son patronyme officiel, aux accents martiaux, qui la qualifie le mieux : Mike Patton.
Il est des blazes qui sonnent comme de véritables en-têtes à manifeste, renfermant de lourdes promesses, qui pèsent presque sur celui qui porte en étendard sa dénomination catchy. En l’occurrence, ce qui poussa le jeune Michael Allen Patton à raccourcir, synthétiser son héritage lors de son entrée dans le bourbier de l’entertainment ne reposait certainement pas sur une simple volonté de la jouer showbiz-compatible (qui présida par exemple au choix de Farookh Bulsara de troquer son état-civil pour le très sémillant Freddie Mercury).
Mike Patton, un nom au garde-à-vous, titre prémonitoire à un assaut massif ? Tentons de vérifier…
Slowly Growing Deaf : d’Eurêka au puking baby
En guise de hors d’œuvre, il apparaît capital de lancer au débotté quelques termes dans la langue de Shakespeare, histoire de donner quelques indices du micmac traversant les pensées du jeune Mike vers 1986, alors qu’il vient d’enregistrer pour ses 18 ans une pauvre petite K7 au son cradingue avec son premier groupe : domestic violence, turd, Morricone, power, junkfood, vomit, sexmasturbationpornpornsexviolentsexSM, Italy, horror, shock rock, death metal, zombie funk, sunshine pop, Bacharach, easy listening, Les Baxter… Liste très succincte, mais dont l’évocation convie tout un chacun à une nausée de circonstance.
D’où la sempiternelle question, qui s’impose en reluquant de près le parcours du garçon : comment a-t-on pu en arriver là ?
Mikey’s big adventure : babillages
The Raging Wrath Of The Easter Bunny. Déjà tout un programme, ce 8-titres… Lapin écumant, le crâne ouvert, se repaissant par avance du dépeçage d’une de ses congénères, dressant les oreilles sur un mélange absolument informe, mal dégrossi de trash-métal et de cris hardcore parodiant les charges musclées d’Henry Rollins.
C’est avec ce babillage gluant que s’amorce le parcours du petit Mike, bambin discret d’Eurêka, Californie. Un premier cri mettant un point final à une enfance pavée de cet ennui middle-class très américain. La forêt de Sherwood (authentique ! dans le genre premier contact avec l’ironie, on peut faire pire) pour horizon principal, papa coach de foot (le vrai, pas l’infâme soccer de ces lopettes d’européens !), maman nounou, et cette trouille abyssale à l’approche de la moindre échéance : franchir le seuil de l’école, rester seul chez soi, causer à ces étranges nabots qu’on présente comme « tes semblables ». Réaction expéditive, épidermique et sans appel, Mike se calfeutre dans sa chambre dès que l’occasion se présente, laissant ses mirettes boulotter tout ce qui leur passe devant les paupières.
D’où l’entrée de la télévision, MTV (1982) et son cortège de laideurs, clips enchaînant kitsch, gros son FM et bien entendu cathodes féromonantes.
Du coup, la mutation de l’adolescence se fait carrément plus hideuse, et le garçonnet se découvre un penchant très poussé pour la pantomime sexuelle et le gag obscène.
Scène irréelle, augurant beaucoup, mais alors BEAUCOUP d’évènements :
Fin d’après-midi dans la forêt de Sherwood. Le petit garçon à la grimace facile pousse la porte de la maison de briques rouges. Et, avant même que l’huis se referme sur l’univers complexe de la touffeur domestique, le voilà qui lance, d’un timbre imitant avec une justesse effrayante pour son petit coffre, un long grognement de mâle sudoripare :
« Muuum, I’m here ! I’m gonna try to find a naked girls channel to lay down on the couch and masturbaaaaaaate ! »
La suite en paraitrait presque couler de source… Association de malfaiteurs avec deux compères dangereux fin 1985 : Trey Spruance, guitariste ombrageux adepte d’extrêmes (death metal, grindcore, musique contemporaine, gammes indiennes, funk haineux), et Trevor Dunn, bassiste tout frais émoulu de son conservatoire, se taillant une place dans tous les bars du coin à coups d’impros free-jazz. Mike, croyant respecter l’adage « si tu ne sais jouer de rien, prend le micro et tortille du cul », se saisit donc du poste de frontman.
O surprise ! Les rugissements de lionceau qui en sortent, bien qu’incroyablement nasillards (because surjoués) décapent, et assurent à leur commanditaire une place solide au sein de ce nouveau triumvirat.
Le nom de cette histoire d’amour contre-nature(s) ? Laid bien sûr, comme tout le reste ; savamment inspiré du hardeur principal du film Sharon’s Sex Party, behold… Mr Bungle !
Commence alors la valse des talent shows, concerts non payés, et la spécialité du trio (rapidement augmenté de batterie, claviers et saxophones), les medleys de grand détournement (Kiss/Village People/Beethoven…). La bête Patton n’est encore qu’un mogwaï tirant sur le gremlin, mais les deux EPs qui suivront Raging Wrath (Bowel Of Chiley en 1987 et Goddammit I Love America ! en 1988), le montrent curieux de bricoler avec ses nouveaux joujoux, en attendant l’arrivée très prochaine de la catastrophe.
Et c’est par le truchement d’un bien bizarre gugusse à pilosité excessive et Flying-V argentée, répondant au sobriquet de Big Jim, que Mike pousse un beau jour de 1989 les portes de ce conglomérat d’allumés qui va devenir son mégaphone à taille planétaire : Faith No More.
Une petite victoire : Faith No More
C’est ici que Patton explose. Profitant du créneau qui lui est accordé au sein d’un groupe qui vient déjà de boucler tout un album instrumental, il se lance en 15 jours dans l’écriture des paroles (exercice qu’il peine alors à maîtriser), et l’enregistrement de toutes les voix.
On a déjà beaucoup glosé sur le choc que fut The Real Thing pour la future alternative nation, mais peut-être pas assez sur un point pourtant important. C’est l’album de la première génération d’américains biberonnés au kitsch fourre-tout d’MTV (encore !), et Faith No More, son épitomé, est propulsé par un expert en la matière. Il faut voir le jeune Mike mugir/cancaner/grogner ses paroles sur toutes les scènes du monde, faisant de la balade dégueulasse Edge Of The World (dernier titre de The Real Thing) une performance de cruauté :
Come sit right downLay your head on my shoulderIt’s not the pointThat I’m forty years olderYou can trust meI’m no criminalBut I’d kill my motherTo be with you
Les tifs kilométriques, les sapes informes et multicolores, le visage distordu et glabre : ça, les amis, c’est le Patton cru 1989-1991 ! Ajoutez-y quelques masques de clowns SM pour les performances avec Bungle, et vous aurez une idée du tableau…
Parce que Mike refuse de lâcher, maintenant que l’abondance le recouvre, sa bande de potes d’Eurêka. Pendant près de 10 ans, il va s’acharner à faire des va-et-vients entre les deux formations, jusqu’à parfois se mélanger les pinceaux. Le voilà qui s’acoquine avec John Zorn, nouveau pape yiddish du jazz new-yorkais allumé, pour produire ce qui sera le LP éponyme Mr Bungle (1991), autre pierre angulaire (aux rebords maculés de taches corporelles diverses, on ne se refait pas) de son triomphe, presque imposé à la Warner, trop heureuse du succès de FNM.
Les grands écarts vocaux se multiplient sur ces 10 titres, et l’auditeur a même droit à un autre précis de stupre, avec cet anthologiquement funky Girls Of Porn. On ne résiste pas au plaisir de vous en délivrer quelques bons mots :
We got gushin’ gonads, tingling tushes, hairy balls and hairy bushesS & M, whips and chains, pregnant ladies with menstrual painsWe got hand jobs and nipple tweaks, finger bangs and slappin’ cheeksWe got rape, necro & both ways and lots of hung studs for all you gaysWe got incest & bestiality too, we got Sade & the sweetest tabooWe got girls who’ll eat your pee and poo, and guys who’d love to fuck your shoeThere’s she-males, lezbos, & shaved beav, and D-cup mamas with so much cleaveSenior citizens who love to watch, and sniff those skid marks from your crotch – YEAH !
Cela aurait pu s’arrêter là, à ce déchaînement de vices clamés sans esthétique sinon celle d’un n’importe quoi extrêmement inventif. Mais ce serait compter sans la pugnacité de Patton, enfin révélé à lui-même. L’estomac solide, il enchaîne concerts ridiculement petits avec Bungle, à base de faux sang dégluti et de reprises paranoïaques (on y croise les thèmes du jeu Super Mario Bros ou le « Thunderball » de Tom Jones), et arènes de l’enfer en première partie de Metallica et des Guns N’ Roses.
Angel Dust redistribue fin 1992 les cartes au sein de Faith No More, consacrant un nouveau Mike, désormais maître du jeu. Image frappante, tirée du clip d’ A Small Victory : un Patton relooké cyber-conquistador (long cheveux gominés, costume, bouc et piercing à l’arcade), à moitié recouvert de poussière de canons, s’égosille la mine conquérante sous un déluge de guerroyages.
A (new) hierarchy spread out on the nightstand…
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |