Portraits
Neil Young, une voix dans la nuit

Neil Young, une voix dans la nuit

par Giom le 10 février 2009

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Soyons sérieux, B-Side ne pouvait pas continuer à exister longtemps sans une story consacrée à Neil Young. Rarement artiste aura marqué à ce point la musique populaire de la deuxième moitié de XXème siècle. Gravant une œuvre jamais figée aux confins du folk, du rock, du blues et de la country, celui que l’on surnomme le Loner a toujours cherché à se trouver là où on ne l’attendait pas forcément, de là à parfois perdre ses fans les plus fidèles. Mais qu’importe Neil Young ne se vend pas et décide toujours de la direction à prendre. Seul lui pouvait chanter à la fin des 80’s alors que plus d’une gloire de sa génération devenaient les pâles copies d’elles-mêmes :

“Ain’t singin for pepsi,
Ain’t singin for coke,
I don’t sing for nobody !
Makes me look like a joke.
This note’s for you”

Story d’un rebelle solitaire...

Enfance, adolescence,... musique !

Pas facile de parler de l’enfance de Neil Young surtout que celui-ci comme à son habitude, n’est pas très bavard : « J’ai eu une assez bonne éducation. J’ai vraiment de bons souvenirs à propos de mes parents... Je repense à mon enfance et je me souviens avoir beaucoup bougé, d’école en école. » On sait tout de même que Neil est né le 12 novembre 1945, deuxième enfant d’un père, Scott Young, journaliste sportif (et aussi correspondant de guerre pour le Winnipeg Free Press à Londres pendant une période) et d’une mère, Edna Regland surnommée Rassy, qui animera un talk show intitulé « Twenty Questions ». On sait que le frêle enfant a failli être la victime, à l’automne 1951, d’une poliomyélite, touché par une épidémie qui ravageait le Canada à l’époque. Il en garda des séquelles puisque ses fameuses crises d’épilepsies durant l’époque du Buffalo Springfield viennent de là et que le côté gauche de son corps restera atteint d’une certaine raideur qui lui donne cette démarche si particulière. Notons tout de même les diverses aventures extra-conjugales du père Scott qui finirent, alors que Neil avait 13 ans, par provoquer le divorce du couple laissant Rassy seule avec la garde des enfants alors que Scott partait « voltiger » avec une collègue journaliste de douze ans sa cadette. Le frère de Neil, Bob, de trois ans son aîné décide de rejoindre son père et laisse Neil avec sa mère, ce qui, selon certains journalistes pseudo-psychanalistes s’étant intéressés au cas Neil Young, pourrait être la cause de son renfermement.

C’est en tout cas à cette époque que le rock’n’roll apparaît dans la vie du jeune adolescent. Neil est tout de suite fasciné par la figure d’Elvis Presley, le King, qu’il a vu lors d’une prestation au Ed Sullivan Show. Il obtient que son père, avec qui il a encore des contacts, lui achète un ukulélé qu’il va vite remplacer par une guitare acoustique bon marché. Il tente alors de reproduire avec elle, entre autres, le Blueberry Hill de Fats Domino. Neil est en effet un enfant renfermé, objet de mépris de ces jeunes camarades de collège qui n’hésitent pas à le frapper (ah, l’âge bête !) comme s’en souviendra l’artiste dans son morceau Don’t Be Denied : « The punches came fast and hard, lying on my back in the school yard ». Mais, arrivé au lycée, Neil, plus assuré, fréquente les soirées de l’école, occasions de rencontrer d’autres apprentis musiciens. Neil intègre même un premier groupe : The Jades, à la carrière très brève, en tant que guitariste rythmique. Le groupe se spécialise dans la reprise d’instrumentaux de groupes côtés de l’époque comme les Ventures ou les Fireballs. L’affaire explose vite donc, mais Neil ne lâche pas le domaine musical pour autant (heureusement pour nous !) et découvre en son jeune collègue de classe Ken Koblun, un nouveau partenaire de jeu. Les deux jeunes s’entraînent ensemble et on sait que c’est à cette occasion qui Neil compose un premier morceau instrumental, Image In Blue. À cette époque, se développe dans la ville de Winnipeg, où évolue pour le moment notre lycéen, toute une scène rock composée de jeunes musiciens. Les Naasts et Brats de l’époque se nomment les Galaxies ou les Strollers. Neil croit donc en sa bonne étoile et tente de persuader son père de lui payer un ampli. Celui-ci, complètement largué quant aux rêves de son fils, lui fait la réponse suivante : « La musique ne te mènera nulle part. Tu ferais mieux de rentrer à l’école agricole. C’est toujours ce que tu as voulu faire, non ? ». Dans le genre père attentif, on fait mieux ! C’est au départ pour contrer son mari que la mère de Neil, Rassy, va payer le fameux ampli à son fils, devenant ainsi sa plus grande fan et encourageant son nouveau groupe, les Squires, que Neil a monté avec son copain Koblun.

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Le premier disque de Young avec les Squires

Le groupe, repéré par la radio locale CQRC, enregistre même en septembre 1963 sur un petit label (V Records) un single comprenant deux instrumentaux The Sultan en face A et Aurora en... B-Side (désolé, ça sort tout seul). Neil Young, qui pense alors avoir fait le plus difficile pour percer, quitte définitivement l’école qui, il faut bien l’avouer, n’était pas son truc et investit dans la guitare de ses rêves : une Gretsch orange, la même que Hank Marvin, guitariste des Shadows et idole du jeune Young à l’époque.


Mais les Shadows vont vite être dépassés par les Beatles dans le cœur de Neil Young à partir de 1964 avec la fameuse « invasion britannique » qui a lieu en Amérique du Nord cette année-là. Le groupe de Lennon et McCartney influencera le futur Loner, qui, en découvrant l’album With The Beatles, se laisse pousser les cheveux et décide de se mettre au chant. Expérience d’abord malheureuse puisque, selon les témoignages, plusieurs personnes dans le public gueulaient aux Squires lors de leurs concerts de « retourner aux instrumentaux ». Mais Neil fait à la même époque la découverte des disques de Dylan dont la voix nasillarde le pousse à persévérer.
Après avoir enregistré plusieurs titres à Winnipeg (dont beaucoup sont perdus mais dont il reste par exemple I Wonder qui deviendra Don’t Cry No Tears sur l’album Zuma en 1975), le groupe part pour Fort William (Ontario) avec un corbillard Buick baptisé par Neil « Mort ». Souhaitant faire leur trou dans la ville, les Squires décrochent deux engagements dans des bar-concerts, le Flamingo et le Forth Dimension. Les Squires reprennent alors des standards folk en les électrifiant à leur sauce. Cette musique fera une très forte impression sur un certain Stephen Stills, partageant avec The Compagny, son groupe venu de New York, l’affiche avec les Squires. Il déclarera plus tard : « Ils jouaient du folk-rock avant tout le monde, c’était très impressionnant ! ». Les membres de The Compagny et des Squires sympathisent alors et Stills et Young parlent même de fonder un jour un groupe ensemble. Stills, avant de repartir, laisse à Young son adresse à Greenwich Village, invitant Young à venir le voir lors d’un éventuel passage à New York. Les choses commencent alors à se dessiner comme vous pouvez le constater...

Young et ses Squires (le groupe s’appelle maintenant Neil Young And The Squires) rejoignent ensuite Toronto, capitale de la scène rock canadienne, dans l’espoir d’y percer. « Mort » (souvenez-vous, le corbillard) termine alors sa « vie » pendant ce voyage, affectant beaucoup Neil Young dont l’épisode lui inspirera le morceau Long May You Run (qui a dit matérialiste ?).
Finalement, à Toronto, les Squires se séparent et Young, qui a trouvé un petit job de libraire (unique travail à heures fixes de sa vie) squatte chez une certaine Vicky Taylor dans le quartier de Yorkville (apparemment le Greenwich Village de Toronto). À l’occasion de ses 19 ans, on sait qu’il a composé pour la belle Vicky le magnifique titre Sugar Mountain. Mais force est de constater que Young galère à Toronto, proposant aux salles un folk peu en vue dans une ville déjà rock où évolue par exemple le groupe The Hawks dont plusieurs membres formeront plus tard The Band. Young part alors tenter sa chance à New York où il propose au label Elektra quelques unes de ses compositions (dont Sugar Mountain ou Nowadays Clancy Can’t Even Sing qu’il a composées récemment...) mais c’est un échec et Neil Young ne réussit même pas à retrouver Stephen Stills dont il apprend le récent départ pour Los Angeles.

À son retour à Toronto, il fait la rencontre de Bruce Palmer, personnage important qui vient de quitter le groupe Jack London And The Sparrows (futur Steppenwolf) pour intégrer un nouveau groupe de R&B les Mynah Birds qui font beaucoup de reprises de morceaux des Stones. Palmer intègre Young au groupe, lui fait découvrir la drogue en passant, et tout s’accélère puisque le groupe, managé par un riche propriétaire du nom de John Graig Eaton, décroche un contrat d’enregistrement sur le prestigieux label Motown à Detroit. Tout le monde part pour la ville de Ford mais l’aventure Motown s’arrête très vite après que le chanteur du groupe (qui n’est autre que Ricky James Matthews, futur roi du funk sous le nom de Rick James, eh oui le monde est petit !) se soit fait arrêter par la police américaine pour désertion. Et oui, notre futur vedette avait « oublié » ses obligations concernant une certaine guerre du Vietnam qui se passait à l’autre bout du monde pour empêcher l’expansion de ce mal terrible : le communisme. Suite à cet événement, Motown annule le contrat avec les Mynah Birds. Neil Young se retrouve à nouveau à la case départ et décide, avec son nouveau compagnon de route Palmer, de partir pour Los Angeles. Young déclarera plus tard : « Tous les sons que j’aimais provenaient de la Californie. Je savais qu’en allant là-bas j’avais une chance de réussir ».

Après avoir investi dans un nouveau corbillard (allez comprendre cette fascination...) évidemment baptisé « Mort II », Palmer et Young partent pour la Californie et n’arrivent qu’au bout de dix jours dans la ville des Anges pour finalement en repartir aussi sec, n’ayant pas réussi à retrouver Stephen Stills. Le duo débarque alors à San Francisco où va se dérouler un événement marquant de la mythologie de la musique des années 1960. En effet, Young et Palmer seraient tombés sur Stills par un pur hasard un soir dans les embouteillages sur Sunset Boulevard. Stills, intrigué par ce corbillard avec une plaque canadienne, serait allé voir à la vitre, découvrant Young qui lui serait tombé dans les bras. Ça tombe bien, Stills se trouvait ce jour-là avec son ami Richie Furay, tous deux à la recherche de volontaires pour former un nouveau groupe. C’est chose faite dans la journée puisqu’ils embauchent Neil et Bruce Palmer. Quelques jours plus tard, un batteur les rejoint, du nom de Dewey Martin, un Canadien également originaire de l’Ontario et les cinq commencent à répéter ensemble quelques titres dont Nowadays Clancy Can’t Even Sing que Stills avait toujours en tête et retravaillé de son côté. C’est lors d’une de ses séances, alors qu’ils faisaient une pause, que les membres du nouveau groupe voient passer devant eux un rouleau compresseur avec inscrit : « Buffalo Springfield, Roller Co Toledo, Ohio » Le nom du groupe est ainsi trouvé, comme quoi dans la vie, les choses peuvent aller vite !


Buffalo Springfield : grandeur et décadence

En partant pour la Californie, Neil Young avait bien en tête qu’à l’époque, c’est là que tout se passait pour toute personne voulant faire de la musique avec une guitare. Depuis que Dylan s’est démarqué de la scène folk de Greenwich Village, New York est en perte de vitesse et c’est bien à Los Angeles que les talents éclosent. La Cité des Anges est la ville des Byrds, nouveau groupe en vue, qui vient de réaliser, avec sa reprise de Mr.Tambourine Man de Dylan, le premier tube folk-rock. Buffalo Springfield profite donc de cette effervescence californienne et se fait remarquer par les fameux Byrds, le bassiste Chris Hillman, songeant même un temps à devenir leur manager.

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Buffalo Springfield

Le 15 avril 1966 le groupe fait la première partie des Byrds au San Bernardo’s Swing Auditorium avant de décrocher un contrat au club le plus fameux de l’époque, le Whisky A-Go-Go, véritable gage de notoriété locale pour un jeune groupe. C’est l’époque où Young fait de nombreuses rencontres, il côtoie les membres des Doors, de Love et va même jusqu’à jouer de la guitare sur un titre de Monkees (As We Go Along publié en 1968), groupe connu comme le premier boys band de l’histoire (comme quoi Robbie Williams n’a vraiment rien inventé.) Le paroxysme de ce succès rencontré par le groupe coïncidera avec un concert devant 20.000 personnes au Hollywood Bowl en première partie des Rolling Stones. Buffalo Springfield devient vite un groupe adoré par les adolescents, enfin surtout les adolescentes, le magazine Teenset affirmera même dans une verve digne du NME britannique : « Il s’agit là du groupe le plus beau et le plus talentueux depuis les Beatles ». Il faut dire que les cinq doivent beaucoup au jeu de scène de Richie Furay, musicien au grand charisme qui faisait fondre plus d’un cœur sensible. Young, à cette époque commence à acquérir une réputation de type sérieux, repoussant le plus souvent les groupies, et entièrement tourné vers l’acte créateur. L’expérience pour lui n’est pas si heureuse puisque c’est à cette époque que se développent ses crises d’épilepsie (dont la majeur partie auront lieux durant sa carrière avec Buffalo Springfield) qui se passent le plus souvent pendant les concerts.

Finalement, le groupe signe avec les managers-producteurs Green and Stone (qui avaient déjà travaillé pour Sonny and Cher) afin d’enregistrer leurs premiers titres. Ils décrochent leur premier contrat chez Atco (la division pop d’Atlantic Records) et peuvent commencer à bosser en studios. Mais, tout ne se passe pas comme prévu et des tensions commencent à apparaître au sein du groupe. Il s’avère très vite que Green et Stone n’ont aucune expérience de la production, Neil Young déclarant plus tard qu’ils représentaient le « vers dans le fruit ». Plus embêtant, Neil Young et Stephen Stills commencent à se friter. Stills est officiellement le leader du groupe mais Young compose de plus en plus ce que l’Américain voit d’un mauvais œil. Young, lui, est censé être le guitariste solo, mais à cette époque, Stills joue mieux que lui. Bref, l’ambiance n’est pas au beau fixe et chacun veut placer sur l’album le plus de compositions de son cru à la fois pour son ego mais aussi pour les royalties. Le premier single, qui sort en juillet 1966, est finalement la chanson de Young Nowadays Clancy Can’t Even Sing mais chantée par Furay. C’est un échec relatif tout comme Burned, qui sort le mois suivant. Finalement, le premier LP du groupe, éponyme, sort en janvier 1967 et est composé de sept morceaux de Stills pour cinq de Young. Au même moment, sort en single, le morceau For What It’s Worth, compo de Stills sur les récentes émeutes estudiantines de Los Angeles à propos du Vietnam, qui devient un tube, atteignant la septième place des charts américains et sauvant le groupe de l’échec commercial. Ce morceau, qui ouvre le LP, seul véritable tube du groupe, est encore cité aujourd’hui parmi les titres ayant marqué la musique californienne dans la deuxième partie des 60’s. Stills se montre alors un compositeur plus efficace que Young, même si ce dernier présente des morceaux plus originaux malgré ses difficultés à s’imposer comme chanteur.

Cependant, même s’il reste tout de même seize semaines dans les charts, le premier album de Buffalo Springfield souffre d’une prise de son exécrable comme en témoignera plus tard Young : « Nous aurions dû enregistrer live mais les producteurs voulaient nous faire adopter la dernière technique en vogue : enregistrer tout le morceau, puis ajouter le chant. C’est pour ça que tous les disques du groupe sont tous des échecs ». Ces séances d’enregistrement pour l’album ont eu pour conséquence de mettre une sale ambiance au sein du groupe. Young et Stills sont maintenant considérés comme des « frères ennemis » et les choses ne vont pas s’arranger lorsque Bruce Palmer est extradé au Canada après s’être fait prendre avec de la drogue par la police américaine. Young fait alors venir son ami Ken Koblun du Canada pour remplacer Palmer à la basse mais il le vire à peine un mois plus tard sans lui donner la moindre explication. La tournée est exténuante et l’ambiance est de plus en plus pourrie au sein du groupe. Furay reconnaîtra plus tard : « C’est à cette époque que tout a sombré ». Young ne supporte pas cette image de « groupe à minettes » de Buffalo Springfield et plante tout le monde à la veille d’un passage dans l’émission de télévision ringarde de Johnny Carson : The Tonight Show. Il faut dire que Stills devient de plus en plus autoritaire ce que Young apprécie moyennement : « Une partie de mon éducation dans le sud a été militaire », admettra Stills. « J’étais dans une école militaire et on m’a appris comment devenir officier. Une des façons de gérer une situation comme celle-là est de prendre les commandes. Bien entendu, des gens comme Neil vont instantanément se rebeller ». Finalement, le groupe apparaît au Monterey Pop Festival avec dans ses rangs un certain... David Crosby (ex-Byrds) en remplacement du « rebelle » Young.

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Buffalo Springfield... again

Cette pause fait du bien à Neil Young qui fait diverses rencontres. Il fait quelques jam sessions avec The Rockets, un groupe d’un certain Danny Whitten qui vient de New York, manque de participer à la réalisation du Forever Changes de Love et rencontre Jack Nitzsche (personnage qu’on retrouvera souvent) qui l’aide à composer plusieurs morceaux dont Expecting To Fly. Finalement, à la fin de l’été 1967, Young rejoint Buffalo Springfield pour achever les sessions d’enregistrement du second opus du groupe : Buffalo Springfield Again. L’album, qui résulte de conditions d’enregistrement chaotiques même si Green et Stone ont été virés et que Palmer est revenu, est plus une série d’efforts solo qu’une véritable œuvre collective. Neil Young y livre quelques morceaux singuliers comme Broken Arrow, sorte d’excuse adressée à Ken Koblun et dont la composition se démarque de la structure classique couplet/refrain. Mr.Soul, basé sur un riff très proche du Satisfaction des Stones et sorti en single en juin 1967, est également l’un des rares titres à ne pas sonner country sur l’album. Le morceau y développe une vision ironique du statut de célébrité, thème fondateur de son œuvre ultérieure. Finalement, Buffalo Springfield Again sort en novembre 1967 et restera quatorze semaines dans les charts pour atteindre le 42ème place. Dégoûté par l’ambiance du groupe et surtout par l’attitude de Stephen Stills qui lui reproche ses problèmes de santé, Neil Young part s’installer chez Jack Nitzsche et sa famille où il vivra quelques bons moments, découvrant avec son ami, musicophile averti, les diverses productions rock du moment : « Je me souviens en particulier du jour où nous avons reçu le premier single du Jimi Hendrix Experience. Nous sommes restés sur le cul ! » (pas étonnant, remarquez). Young quitte alors une nouvelle fois Buffalo Springfield en mars 1968 après une courte tournée avec le groupe psychédélique Strawberry Alarm Clock (connu à l’époque pour son tube Incense And Peppermint). Cela va marquer la fin de l’aventure de Buffalo Springfield puisque ses membres livrent une dernière prestation live le 5 mai 1968 au Long Beach Sport Arena de Los Angeles devant une foule surtout composée de jeunes filles en pleures. Young expliquera cette séparation par des raisons psychologiques : « Je n’étais pas en train de mijoter une carrière solo. C’était juste un problème de nerfs, ils ne tenaient plus le choc à la fin ». Jack Nitzsche affirmera plus tard que Neil voulait surtout à l’époque : « du fric et le plus vite possible ». En tout cas, il travaille déjà à son premier album solo et a confié la gestion de sa carrière au manager Elliot Roberts (également manager de Joni Mitchell) qui lui a trouvé un contrat chez Reprise, label fondé par Frank Sinatra. Quoi qu’il en soit, Neil Young semble apaisé. Il s’achète une maison dans le quartier d’artistes de Topanga (à 30 kilomètres d’Hollywood) et fait la rencontre de Susan Aceved, alors serveuse dans un restaurant de Topanga, avec qui il se mariera quelques mois plus tard en décembre 1968. Il déclarera à propos de cette période : « Je recherchais une certaine stabilité. Je voulais m’accrocher à quelque chose ». En tout cas, pas à Stephen Stills, apparemment !

De son côté Richie Furay, sûrement le plus accroché au groupe sans qui il n’était pas grand chose, retravaillera avec Jim Messina, producteur mais aussi bassiste puisqu’il avait fini par remplacer Palmer, toute une série d’inédits du groupe afin de construire un nouvel album sous le nom de Buffalo Springfield. Last Time Aroud sort donc en août 1968, véritable chant du signe d’un groupe qui n’est déjà plus. L’album atteindra tout de même la 42ème place des charts américains obtenant un succès d’estime. On y retrouve deux compositions de Young, On The Way Home et l’obscure It’s So Hard To Wait dont les paroles, selon une interprétation du fameux rock critic Lester Bangs, pourraient évoquer l’impotence. En deux ans, Buffalo Springfield, qui comportait en ses rangs des musiciens d’une qualité incroyable, se sera imposé comme l’un des acteurs centraux de la musique californienne du temps, produisant un folk-rock électrique symbole d’une époque. La postérité n’a retenu que le tube For What It’s Worth mais les albums du groupe, et notamment le premier, méritent d’y revenir malgré le fait que Young les ait plus ou moins reniés.

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Est-ce la couleur qui les a tués ?

Naissance et consécration du Loner

Neil Young commence donc à travailler sur son premier disque solo avec Jack Nitzsche. Celui-ci sort très vite, en novembre 1968, tellement vite que la maison de disque oubliera de mettre un titre sur la pochette. Il faudra attendre la troisième impression en janvier 1969 pour que le premier vrai disque de Neil Young, sobrement intitulé Neil Young, voit le jour dans des conditions décentes. Totalement surproduit, le disque est très vite renié par son auteur qui part en tournée acoustique pour présenter ses morceaux de façon plus convaincante. La tournée s’achève à Toronto ou Scott Young, dans le public, découvre enfin (il était temps !) l’importance de la musique dans la vie de son fils Neil. Il est vrai que le disque Neil Young souffre d’une mauvaise qualité d’enregistrement et la voix est assez inaudible, chose embarrassante pour Young pas encore très à l’aise au chant. Le disque s’ouvre sur un instrumental digne de l’époque des Squires The Emperor Of Wyoming et s’achève sur une longue divagation acoustique étonnante mais sans réelle force : The Last Trip To Tulsa. Cependant, le LP révèle tout de même quelques perles comme le single The Loner, très électrique, adressé à Stephen Stills et qui révèle une image de son auteur qui ne le quittera jamais.

Après la tournée, Young revient à L.A. et se rapproche des Rockets. Il décide de fonder un groupe avec trois d’entre eux (le guitariste Danny Whitten, le bassiste Billy Talbot et le batteur Ralph Molina) qu’il nomme d’abord les War Babies puis Crazy Horse du nom d’un chef indien (nom qui, on le sait, trouvera une certaine fortune). Le nouveau groupe commence à répéter avec le producteur David Briggs et Young est tout de suite séduit par ce travail, retrouvant le son légèrement garage rock des ex-Rockets. C’est à cette époque, alors qu’il est alité avec 40° de fièvre, qu’il composera trois de ses plus beaux morceaux : Cinnamon Girl, Down By The River et Cowgirl In The Sand, trois titres qui conviendront à merveille à la rythmique d’acier du Crazy Horse. Young et son Cheval Fou testent alors leurs nouveaux morceaux au Whisky A-Go-Go et c’est là que Young retrouve Stephen Stills, alors dans le public qui lui propose de rejoindre son nouveau groupe qu’il a monté avec David Crosby (l’ex-Byrd) et Graham Nash, un Anglais originaire de Blackpool qui vient du groupe The Hollies. Crosby, Stills et Joni Mitchell vivaient alors ensemble dans une villa de Los Angeles pratiquant « l’amour libre », cette période inspirant à Crosby le morceau Triad, refusé par les Byrds mais qui sera repris par Jefferson Airplane sur Crown Of Creation. Le nouveau groupe Crosby, Stills & Nash vient en effet de publier un premier disque éponyme, énorme succès (deux millions de copies vendues en une année) qui valut à la formation le qualificatif élogieux de « super groupe ». Seulement, Stills refuse de devenir avec ses compagnons les nouveaux Simon & Garfunkel à trois et cherche à construire un véritable groupe pour la tournée qui doit suivre l’album. Il propose donc à son vieux « frère ennemi » d’accompagner le groupe pendant la tournée sans véritablement en faire partie. Young, qui voit dans son intégration à Crosby, Stills & Nash une véritable opportunité pour atteindre une notoriété encore plus importante mais qui n’entend pas qu’on l’exploite, accepte à condition que son nom soit associé aux trois autres et qu’il puisse continuer son aventure avec Crazy Horse en même temps. Les trois autres finissent par accepter les conditions de Young et groupe se rebaptise Crosby, Stills, Nash & Young.

Young commence alors une période de folie d’un point de vue de sa carrière, travaillant à un rythme qui aura raison de son couple avec Susan : « J’enregistrai avec Crazy Horse le matin puis j’allais répéter avec Crosby, Stills, Nash & Young jusqu’au soir ». En mai 1969, sort le premier LP de Young avec le Crazy Horse, Everybody Knows This Is Nowhere que la presse encense. L’album, enregistré dans des conditions live, obtient un succès d’estime, atteignant la 34ème place dans les charts et y restant tout de même 98 semaines ! Il faut dire que c’est avec ce disque que Young a trouvé son style, publiant des morceaux d’une rare fraîcheur pour l’époque.

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le premier album avec le Crazy Horse

Furieusement électrique, Young n’hésite pas à composer de longs morceaux comme Down By The River et Cowgirl In The Sand, tous deux bâtis sur une même structure rythmique et qui laissent exploser des soli du Loner d’une rare intensité. Le titre Running Dry (Requiem For The Rockets), extrêmement plaintif, permet à Young de s’excuser d’avoir mis fin aux Rockets. Everybody Knows This Is Nowhere peut être considéré comme l’un des meilleurs disques de Young, en tout cas son premier véritable. Certes, en pleine folie Crosby, Stills, Nash & Young (alors considérés comme les « nouveaux Beatles », et oui, encore !), le disque n’a sûrement pas eu l’écho mérité mais ce n’était que partie remise.


Car au même moment, la tournée de Crosby, Stills, Nash & Young bat son plein et le deuxième concert du groupe ne sera rien d’autre qu’une prestation au mémorable festival de Woodstock où la formation est la plus attendue de toutes. Young, qui se méfie de cette entreprise jugée par lui « trop réductrice » refusera d’apparaître sur la bande du film du festival. « J’ai pensé que c’était une plaisanterie. Je n’étais pas vraiment dedans. Je ne savais même pas ce que je faisais là. Je ne sais toujours pas. Je sais que je pouvais à peine m’entendre jouer ». L’unique bon souvenir que gardera Young de cet événement sera sa rencontre avec Hendrix dont il est depuis 1967, un grand admirateur. L’euphorie de Woodstock ne durera pas longtemps puisque peu de temps après, Young apprend le massacre orchestré par Charles Manson avec les meurtres de Sharon Tate (femme du cinéaste Roman Polanski) et de ses amis par deux filles (Linda Kasabian et Patricia Krenwinkle) que Young connaissait bien au moment où il fréquentait Manson. En plus de ça, Crosby, Stills, Nash & Young joueront au festival d’Altamont organisé par les Rolling Stones, tristement célèbre pour la mort d’une jeune noire par des Hell’s Angels, événement macabre qui marquera définitivement la fin de l’utopie des 60’s.

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Crosby, Stills, Nash & Young au grand complet !

Pour se relancer, les quatre stars partent pour Londres afin de se produire au Royal Albert Hall. La capitale anglaise, selon lui triste à mourir à cette époque, inspirera à Young le très beau Don’t Let It Bring You Down. De retour aux États-Unis, le groupe enregistre son premier album sous le nom de Crosby, Stills, Nash & Young, partageant en même temps à cette époque à New York l’affiche avec Steve Miller et surtout... Miles Davis. L’expérience ne semble pas avoir passionné le trompettiste outre-mesure : « J’ouvrai pour ce pauvre con de Steve Miller. Crosby, Stills, Nash & Young étaient aussi au programme et ils étaient à peine meilleur que lui ».
Déjà Vu, premier disque des quatre sort finalement en mars 1970 et obtient un énorme succès, assez logique tant l’album était attendu. Premier dans les charts américains, le disque est tout de suite décrit par la presse comme un classique du genre country-folk. Il faut dire que le disque est superbe, présentant à la fois une unité tout en mettant en valeur les différentes personnalités du groupe. Young signe trois compositions dont le magnifique Helpless où il se confie sur ses années d’enfance. Country Girl est un long titre plus singulier qui contraste avec l’ensemble du disque. Le single Woodstock, énorme tube, fut donné au groupe par Joni Mitchell toujours proche des musiciens. Fort de leur immense succès, les quatre repartent pour une nouvelle tournée marathon à travers le pays. Ils s’interrompent brusquement en juin 1970 pour enregistrer en une journée le single Ohio, titre s’insurgeant contre la répression policière dans le campus de Kent en Ohio, provoquant la mort de quatre étudiants. Écrit par Young le matin, le titre est enregistré l’après-midi et sort dans des temps records. Véritable charge contre le gouvernement de Richard Nixon, il s’agit bien là de la première protest song de Neil Young, titre qui sera d’ailleurs immédiatement censuré sur les radios. En face B du single, on trouve un titre de Stephen Stills répondant à la même thématique : Find The Coast Of Freedown.


En parallèle, Young continue de mener le Crazy Horse et un nouveau single du groupe sort en juin 1970 : Cinnamon Girl / Sugar Mountain qui atteint la 55ème place des charts américains. Pris entre deux feux, la tournée de Crosby, Stills, Nash & Young qui n’en finit pas et l’enregistrement d’un nouveau disque avec le Crazy Horse, Young plaque tout le monde pendant cet été 1970 et part aux Royaume-Uni pour accompagner Joni Mitchell au festival de l’île de Wight, sans apparaître sur la scène. En septembre, sort finalement le troisième album solo du Loner, After The Gold Rush auquel participe en partie le Crazy Horse mais qui voit surtout l’intégration du jeune pianiste de 19 ans Nils Lofgren aussi expérimenté que moi en matière de musique.

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After The Gold Rush

Enregistré dans le home studio californien de Young, ce qui lui donne un caractère intimiste, le disque est un succès et atteint la huitième place des charts américains, y restant 66 semaines. After The Gold Rush est en fait basé sur un script de Dean Stockwell que Young, qui commence déjà à se passionner pour le septième art devait porter à l’écran. On trouve sur cet album quelques pures merveilles comme la ballade éponyme au piano ou encore le déchirant Only Love Can Break Your Heart (qui sonne bizarrement au moment où l’artiste vit des relations conjugales difficiles). Young y ajoute un morceau qui évoque pour la première fois le racisme, Southern Man, évoquant une histoire d’amour impossible entre un noir et une blanche. Enfin bon, je ne vais pas refaire la critique du disque déjà faite ici.
Après l’expérience Crosby, Stills, Nash & Young et le succès mérité d’After The Gold Rush, Neil Young atteint une popularité encore inégalée et possède donc beaucoup d’argent. Il finit par divorcer avec Susan et s’achète un ranch de 70 hectares (!) à San Mateo près de San Francisco qu’il baptise « Broken Arrow ». Ce ranch, situé dans une région boisée et paisible, est encore aujourd’hui sa résidence principale. Toujours très actif musicalement, Young se lance en même temps dans l’aménagement de son ranch et à force de porter des planches, finit par se faire très mal au dos. Les médecins diagnostiquent une hernie discale et forcent Young à se reposer et à porter un corset. Young, alors souvent alité à la fin de cette année 1970, réussit tout de même à donner quelques concerts au Carnegie Hall de New York. Ses performances sont épuisantes pour lui, puisqu’il a du mal à se déplacer sur scène et ne peut jouer de la guitare électrique. Le public répond présent et des personnalités comme l’acteur Jack Nicholson viennent le féliciter après le show.

C’est lors d’une longue journée, allongé dans son ranch, que Young tombe amoureux, en regardant le film de Frank Perry, Journal Intime d’Une Femme Mariée, de Carrie Snodgrass qui a le rôle principal du film. Young réussit à la rencontrer grâce à un ami commun (il faut croire que le monde est petit en Californie !) et une relation sentimentale commence entre eux. Carrie ne tarde pas à rejoindre Neil dans son ranch (il faut dire que l’endroit ne doit pas manquer de place !) Au début de l’année 1971, Neil Young, alors en Angleterre, compose deux nouveaux morceaux à la tonalité paisible en raison de son impossibilité toujours d’actualité de jouer de la guitare électrique. Il s’agit de A Man Needs A Maid (influencé par sa récente relation avec Carrie Snodgrass) et There’s A World. Pour l’enregistrement, le Loner fait appel au London Symphony Orchestra. Le reste de ce qui donnera le futur disque Harvest, est enregistré à Nashville avec des musiciens de studio locaux qu’il baptisera les Stray Gators (Tim Drummond à la basse, Kenny Buttrey à la batterie et Ben Keith à la pedal steel). Young retrouve à cette occasion Jack Nitzsche qui viendra contribuer au disque en jouant du piano. Après une nouvelle hospitalisation à cause de son dos qu’il doit sûrement malmener, Young invite les Stray Gators à le rejoindre au ranch pour achever le disque qui sortira en février 1972. Entre temps, et même si Young est très loin de penser à tout ça, Atlantic Records a sorti un double album live de Crosby, Stills, Nash & Young qui présente un disque acoustique et un disque électrique.

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4 Way Street : CSN&Y à son apogée

Intitulé 4 Way Street, ce disque est une bonne occasion de comprendre le phénomène Crosby, Stills, Nash & Young en live et notamment d’halluciner sur les véritables duels guitaristiques que se livraient Stills et Young sur des titres comme Southern Man ou Carry On. Le disque est bien sûr un immense succès, atteignant le sommet des ventes aux États-Unis, mais, comme nous l’avons dit, à cette période, tout cela n’intéresse pas vraiment Neil Young, entièrement tourné vers sa carrière solo et bien lui en prendra puisque qu’Harvest est de loin son plus grand succès. Premier aux États-Unis, en Angleterre et même en France malgré la critique mi-figue mi-raisin de Jacques Chébiron dans Rock & Folk : « Je ne sais si ce nouveau disque vaudra de nouveaux fans à Neil Young. Ce qui le connaissent se sentiront mieux en écoutant Harvest, ceux qu’il laisse indifférent pourront difficilement se mettre au diapason ». Comme quoi, les rock critic, c’est pas toujours ça ! Le succès est en effet énorme et les fans de Crosby, Stills, Nash & Young trouvent une compensation au split du groupe dans ce disque, extrêmement paisible et presque bucolique qui fait figure d’exception dans la carrière solo de Young, assez marquée par l’électricité. Les compositions country-folk s’associent à des thèmes comme l’amour de la campagne et la joie de la famille... tout pour plaire au public quoi ! Mais ici n’est pas le lieu pour une chronique complète du disque, que vous trouverez ailleurs. En tout cas, l’album place Neil Young sur un piédestal sans précédent et en fait la grande star de l’année 1972. En septembre, sa femme accouche même d’un petit garçon, Zeke, qui, malheureusement, souffre d’une légère paralysie cérébrale. Carrie met donc sa carrière entre parenthèses alors qu’elle venait juste d’obtenir un oscar l’année précédente.


Un peu dépassé par les événements, Young met au point une tournée de 65 dates et commence à répéter avec les Stray Gators, rappelant pour l’occasion le guitariste Danny Whitten dont il a obtenu l’assurance qu’il a décroché de l’héroïne dont ce dernier est sérieusement dépendant. En même temps, Young commence à travailler sur son premier film, Journey Through The Past où il entend bien parler des thèmes qui l’obsède comme la drogue et la religion qui sont pour lui des façons différentes mais parallèles de supporter la réalité de la vie et de ne pas l’affronter. Il cherche à obtenir de la Warner qu’elle finance et produise son projet. Celle-ci accepte à condition que Young compose une bande originale de film pouvant être commercialisée en disque. En mai 1972, Young a également rejoint Graham Nash pour enregistrer le single War Song (avec The Needle And The Damage Done, chanson d’Harvest sur les ravages de la drogue, en face B). War Song est une violente diatribe contre le gouvernement de Nixon et contre cette guerre au nom de « la lutte contre le communisme » qui n’en finit pas de l’autre côté du Pacifique.

Pendant les répétitions d’avant la tournée avec les Stray Gators, Young se rend vite compte que Whitten ne peut tenir sa place parmi le groupe. Pour compenser son manque d’héroïne, Whitten absorbe une quantité faramineuse d’alcool et d’autres stupéfiants et est incapable de jouer le moindre morceau en entier. Furieux, Young le vire du groupe et le met dans un avion avec cinquante dollars en poche. Quelques jours plus tard, plus précisément le 18 novembre 1972, Whitten est retrouvé mort chez lui d’une dose d’héroïne achetée avec l’argent que Young lui avait donné. Whitten avait 29 ans et ajoute un nouveau nom à la déjà longue liste des morts du monde du rock post-60’s. Traumatisé, Neil Young ne s’en remettra jamais vraiment.

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Danny Whitten, un cheval vraiment trop fou

La mort aux trousses

Très marqué par la mort de son ancien guitariste, une période (très) sombre commence alors pour le Loner. C’est finalement cet événement qui va marquer un tournant dans sa carrière et ainsi l’amener à se renouveler en trouvant une voie encore plus personnelle et profonde : « Après Harvest, j’étais fatigué d’être moi-même, de toujours refaire sur scène les mêmes chansons (...). Je ne pouvais rester dans cet état, aussi j’ai voulu détruire cette idée que j’avais de moi ». À partir de cette époque, Neil Young va tenter de faire le tri dans son immense auditoire pour voir qui est prêt à le suivre dans sa nouvelle direction : « Harvest m’a mis au milieu de la route. Bientôt, j’ai opté pour le fossé. Le voyage est plus difficile mais on y rencontre des gens plus intéressants ».

Il faut dire qu’à ce moment là, Young subit les foudres de la critique rock qui lui reproche ce suicide commercial qu’a représenté la sortie en disque de la bande originale du film Journey Through The Past en novembre 1972. Annoncé par la Warner comme la suite d’Harvest, la surprise fut de taille pour le public qui n’y découvrit qu’une seule chanson inédite mêlée à des séquences de live du Buffalo Springfield ou de Crosby, Stills, Nash & Young. Le morceau Words, déjà présent sur Harvest y est, sur la B.O., étiré pour occuper une face complète du double album. Déception, qu’on peut comprendre, pour le public et la presse, le magazine Rolling Stone déclarera à propos de cette expérience : « Le moment le plus faible de la carrière de Neil Young. Qu’un quelconque film puisse justifier l’existence de ce disque est une question qui mérite d’être posée ». Le film, quant à lui, sera projeté en avant-première au festival de Dallas le 8 avril 1973, Neil Young déclarant (assez pompeusement il faut bien l’avouer) à cette occasion avoir été influencé par les grands cinéastes européens avant-gardistes que sont Fellini et Godard. Inutile de préciser que le film, justement trop « avant-gardiste », fut un échec. Il mêlait séquences oniriques, extraits de live et propos péremptoires sur l’environnement. Quelques temps plus tard, Young déclarera à propos de cet épisode de sa carrière : « De temps en temps, j’aime me risquer dans des aventures qui risquent d’échouer ». Euh oui, on peut dire ça comme ça.


Malgré la mort de Whitten, la tournée d’Harvest a bien lieu dans une soixantaine de villes. L’ambiance est très mauvaise et les musiciens des Stray Gators réclament à mi-parcours une augmentation de salaire. Alors que le groupe se produit dans des stades combles, Young prend tout le monde à contre-pied et refuse de jouer les tubes d’Harvest ou d’After The Gold Rush, testant des nouveaux titres à l’esprit beaucoup moins joyeux. Aux deux tiers de la tournée, Young commence même à avoir des problèmes de gorge et à avoir de plus en plus de difficultés à chanter. Pour pallier à ça, il décide de convoquer l’aide de ses anciens collègues de Crosby, Stills, Nash & Young. Alors qu’ils ne sont, eux aussi, pas au mieux de leur forme psychologique, Crosby et Nash viennent soutenir Young sur la côte ouest et l’accompagnent pendant la fin de sa tournée. La petite amie de Nash vient d’être assassinée par son frère et la mère de Crosby se meure d’une longue maladie. Les deux camarades réalisent donc envers Neil un geste totalement désintéressé, véritable preuve d’amitié, exception rare dans leur carrière commune souvent marquée par les incompatibilités d’humeurs. Stephen Stills est de son côté trop occupé à épouser une jeune chanteuse française qu’il a rencontré par sa maison de disque... Véronique Sanson. Épuisé et malade, Young se voit tout de même obligé d’annuler les dernières dates européennes de sa tournée pour se faire enlever des nodules à la gorge.

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Times Fade Away : la gloire non assumée

En témoignage de cette période troublée, sortira le premier live de la carrière de Neil Young Time Fades Away, avec que des morceaux inédits. Le disque sera tout de même disque d’or aux USA restant 18 semaines dans les charts. Revenant en 1985 pour le Melody Maker sur cette époque sombre, Young déclarera : « C’était comme si la mort de Whitten avait quelque chose à voir avec tout ce qui se passait. C’était comme si après la liberté des années 60 et la libération des mœurs, les drogues et tout ça, on vous présentait l’addition. Les amis, les jeunes qui mourraient... Ça m’a littéralement démoli alors à l’époque je me suis senti comme qui dirait exorcisé ».

Pourtant, bien décidé à toujours être là où on ne l’attend pas, Young décide à l’été 1974 de remonter le groupe Crosby, Stills, Nash & Young et les quatre partent en vacances ensemble à Hawaï afin de composer un nouveau disque dont ils ont déjà le titre : Human Highway. De retour en Californie, les séances d’enregistrement sont un échec et Young décide de tout laisser tomber. De retour chez lui, une autre nouvelle tragique l’attend, il apprend la mort de Bruce Berry, ancien roadie de Crosby, Stills, Nash & Young dont Young avait remarqué sa passion pour l’héroïne. De nouveau terrassé par ce contact soudain avec la mort, il se met à composer des chansons hantées par le souvenir de ses amis disparus. Il réunit alors ce qui reste du Crazy Horse, Nils Lofgren (le jeune pianiste d’After The Gold Rush) et Ben Keith (membre des Stray Gators) pour enregistrer tout ça dans le studio du frère de Bruce Berry, Ken, avec le fidèle David Briggs à la production. Ces sessions chaotiques où les musiciens sont le plus souvent défoncés à la tequila, donneront la majeur partie de l’album Tonight’s The Night. Les textes y sont susurrés et Young plagie même consciemment le titre Lady Jane des Stones sur Borrowed Tune chantant les paroles suivantes, assez pathétiques : « J’ai emprunté cette chanson aux Rolling Stones. Je suis trop destroy pour en composer une ». Bien sûr, les fantômes de Whitten et Berry hantent les sessions comme le déclarera Young : « C’est marrant je me souviens de toute cette expérience en noir et blanc. On allait au bar vers 17 heures et on commençait à se défoncer avec de la tequila. Vers minuit, on se mettait à jouer et on jouait Bruce et Danny à leur façon toute la nuit ». Pour privilégier l’émotion, seules les premières prises sont enregistrées et tous essayent de communier avec ces deux esprits « morts pour le rock’n’roll » (comme cela est inscrit sur la pochette). Détail morbide, le nom de Danny Whitten est inscrit sur la pochette à la place qu’il aurait eu en tant que musicien.

Convaincu de la qualité du disque, Young présente le travail à Reprise qui est effrayée par sa noirceur et y voit l’annonce d’un nouvel échec commercial. La maison de disque refuse donc de publier Tonight’s The Night mais ne peut empêcher Young de partir avec sa bande (qu’il a baptisé The Santa Monica Flyers) en tournée. Tout commence à Miami, au club Angeleno récemment ouvert par son manager Elliot Roberts avec David Geffen. Les performances de la formation y sont macabres. Young, entouré sur scène d’un palmier et d’une statue indienne, se montre souvent hostile vis-à-vis d’un public qui continue à vouloir entendre les titres d’Harvest en concert. Au dessus du groupe, on peut voir une banderole cynique avec inscrit : « Bienvenus à Miami, tout y est plus superficiel qu’ailleurs » (Young gardera d’ailleurs cette banderole même dans les autres lieux de la tournée). Au Roxy de Los Angeles, Neil Young déclare toutes les boissons gratuites et invite toutes les filles de l’assistance à montrer leurs seins. C’est l’époque où Young, qui, il est vrai possède un look cadavérique à la mesure de la future pochette de Tonight’s The Night, est l’objet de nombreuses rumeurs sur l’état de sa santé.

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Vous avez dit ravagé ?

La BBC annonce même en octobre 1973 sa mort et la Warner aurait du coup même rédigé un faire-part de décès (comme quoi les choses peuvent aller vite en besogne quand il s’agit d’enterrer une idole des 60’s !). Mais Young refait surface un mois plus tard en Grande-Bretagne, dans un bien meilleur état, où il tourne en compagnie des Eagles. L’esprit de dérision de Young se fait alors de plus en plus cinglant puisqu’il dira à propos de cette tournée britannique : « Ce fut une tournée extraordinaire, une de mes préférées. C’était vraiment des concerts magiques. Au Royal Festival Hall de Londres, je suis revenu faire un rappel alors que la salle était vide et j’ai joué Tonight’s The Night pour la quatrième fois ». Il faut dire que Young se lance dans une vaste opération de caricature d’un monde du rock qui commence, en ce milieu des 70’s, à se prendre vraiment au sérieux, ces excès menant droit au contre-courant de l’esthétique punk, rappelons-le ! Young, de son côté, continue de casser son image, jouant parfois tout un concert avec un masque de Richard Nixon sur le visage. « Nous voulions vraiment passer pour des types louches... », dira le Loner à ce propos. Cette attitude aura pour conséquence d’influencer un certain John Richie (futur Sid Vicious des Sex Pistols) qui, présent au concert de Manchester, se souviendra de ce rapport singulier entretenu par l’artiste avec son public à l’époque.


Toujours complètement imprévisible et hyperactif, Young relance la grosse machine Crosby, Stills, Nash & Young pour une nouvelle tournée des stades. Le Loner n’est pas à une contradiction près puisqu’il avait juré après Time Fades Away de ne jamais remettre les pieds dans un stade. Commencent alors les répétitions avec ses anciens compères mais Young se rend vite compte qu’ils sont complètement grillés et encore dépendants à la drogue. Les autres se reposent sur lui et ne composent presque plus rien alors qu’un nouvel album du combo est en projet. Crosby résumera cette situation de façon peu pertinente : « Neil a toujours écrit beaucoup plus que nous, c’est tout ».

Pour ne pas perdre de temps et à un rythme effréné (qui l’amène d’ailleurs comme la première fois à avoir des difficultés conjugales), il compose dans son coin un nouvel album solo. Le disque, On The Beach, est en partie inspiré de sa vie privée tumultueuse et parcours des thèmes comme les illusions perdues, la décadence américaine ou la fin du rêve hippie. On The Beach (voir la critique), sort en juillet 1974, précédé d’un mois du single en trompe l’œil (limite funk) Walk On. L’album est moyennement bien accueilli chose pas vraiment étonnante pour un disque très mélancolique. Le titre Revolution Blues, qui narre le périple de Charles Manson, faisait par exemple très peur à ses collègue de Crosby, Stills, Nash & Young quand Neil le leur jouait.
Commence alors une tournée pharaonique et grandiloquente pour Crosby, Stills, Nash & Young.

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"Only live music is good !"

Un jet privé avec des oreillers cousus sur mesure est mis à la disposition du groupe. Navré par ce cirque rock’n’roll, Young voyage seul avec sa famille et son chien Art en bus. La tournée s’achève par un véritable festival à Londres au stade de Wembley le 14 septembre 1974 où se produisent également Joni Mitchell et The Band. L’événement est de notoriété européenne puisque c’est la première fois que les quatre se produisent ensemble sur le vieux continent. En revanche, le projet d’un nouveau disque de Crosby, Stills, Nash & Young foire, Neil Young n’étant décidément pas prêt à faire tout le boulot pour tout le monde. En août 1974, Atlantic, toujours à la recherche d’argent à se faire sur son catalogue de vieilles gloires sort tout de même une compile bâtarde So Far dont il n’est même pas la peine de parler.

Après cette période d’euphorie, lorsqu’ils rentrent aux États-Unis, Carrie annonce à Neil son désir de divorcer : « Je ne pouvais pas à la fois m’occuper de ma carrière, de Zeke... et de Neil. » (on peut alors en déduire que Neil s’occupait au moins de son chien Art !) Toujours instable psychologiquement, Young réalise un exercice de catharsis en se tournant comme d’habitude vers la musique et en enregistrant une longue bande intitulée provisoirement Homegrown où Young se confie, à l’aide de sa guitare acoustique, sur ses malheurs conjugaux. C’est à ce moment-là que Young ressort les bandes de Tonight’s The Night et, en les comparant à ce qu’il a fait pour Homegrown, est à nouveau convaincu de leur importance. Rick Danko, du groupe The Band, encourage Neil à publier le disque auquel le Loner ajoute trois morceaux issus d’un projet de comédie musicale inspirée de la vie de Bruce Palmer puis l’impose à Reprise. Fier de son œuvre, il organise pour la première fois une fête de lancement en juin 1975. Album extrêmement sombre (l’un des plus tristes de l’histoire du rock), il révèle pourtant des beautés incroyables. Chantant souvent faux, souvent bourré, les morceaux exécutés par Young y sont tout de même extrêmement touchants et font de ce disque l’un des must d’intensité dans la carrière du Loner. On adressera par exemple des mentions spéciales aux morceaux Speakin’Out, blues déstructuré avec un beau solo de Lofgren et Come On Baby Let’s Go Downtown, enregistré live lors d’un concert de 1970 au Fillmore East avec Whitten chantant les joies de l’héroïne. Je vous avais prévenu que c’était glauque, mais c’est un grand disque qui fait de Neil Young l’artiste le plus attachant et le moins vendu au système de cette époque. Pour l’anecdote, l’album est publié avec un encart reproduisant une critique négative en danois de la tournée Tonight’s The Night. Explication : « Quand on est perturbé, tout est comme du danois ». D’accord.
La publication de Tonight’s The Night, à défaut de provoquer de grosses ventes, aura servi de véritable catharsis pour son auteur qui pourra enfin se lancer dans nouvelle ère. Surtout qu’entre temps, à New York, Billy Talbot a rencontré un nouveau guitariste : Frank « Poncho » Sampredo. Young le rencontre à Chicago où ils se lancent dans un beuf dès plus concluants. L’affaire est dans le sac et Poncho devient le nouveau guitariste de la nouvelle mouture du Crazy Horse, à nouveau prêt pour de glorieuses épopées. Young sent alors que l’avenir sera palpitant...


Un cheval fou ne meurt jamais

Le Crazy Horse revient donc au premier plan dans la carrière de Neil Young qui, grâce au sang neuf représenté par Poncho, retrouve à nouveau des idées de compositions. Avec son nouveau guitariste qui lui assure une rythmique impeccable, Young peut également laisser renaître ses soli déchirants qui sont sa marque de fabrique. Neil Young, sans pour autant devenir bavard, commence à se confier à la presse de façon plus fréquente : « La mort de Danny a tué la dynamique qui animait Crazy Horse mais pas le feeling d’ensemble ». À nouveau plein d’idées, Young monte le projet d’un album consacré aux civilisations inca et aztèque pour lesquelles il se passionne. Le disque se veut plus accessible et doit alors s’appeler Ride My Llama. Finalement au fur et à mesure que les sessions avancent, le projet devient de plus en plus électrique et sort en novembre 1975 sous le nom de Zuma, du nom de la plage de Malibu où fut enregistré l’album, dans une ancienne résidence de Francis Scott Fitzgerald, rachetée par Neil. Inutile de dire que le disque est parfait, l’un des plus aboutis du Loner. S’ouvrant sur le très ancien Don’t Cry No Tears, il se referme sur un titre de la période Crosby, Stills, Nash & Young : Through My Sails. Barstool Blues est quant à lui composé lors d’une nuit de cuite avec son nouveau frère d’armes Poncho. On y trouve aussi le titre Stupid Girl, dédié à Joni Mitchell (!). Enfin, le chef-d’œuvre absolu consiste en la huitième piste : Cortez The Killer avec sa ligne de guitare introductrice qui donnerait des frissons à n’importe qui, où Young chante les horreurs du conquistador espagnol (le titre sera interdit dans l’Espagne franquiste). Zuma relance donc la carrière de Neil Young de la plus belle des manières et une légende raconte que Bob Dylan, qui à la même époque publie le crépusculaire Blood On The Tracks, jaloux de la renaissance de son concurrent le plus direct aurait été vu à Malibu en train d’espionner les sessions d’enregistrement de Zuma.

À la suite du disque, Young se lance à partir du 12 décembre 1975 dans une petite tournée des bars californiens que la presse baptise la « Rolling Zuma Revue » (en parallèle avec la « Rolling Thunder Revue » que mène Dylan à la même époque). Différence de taille, Young joue la plupart du temps gratuitement, débarquant dans les bars à l’improviste l’après-midi pour y jouer le soir. C’est à cette période qu’il retrouve son vieux compère Stephen Stills avec qui il prend plaisir à faire quelques jam sessions. Les deux envisagent alors de faire à nouveau un disque ensemble et Stills, euphorique, déclarera « L’esprit de Buffalo Springfield est de retour ! » Pourtant Young s’investit peu dans le projet, partant en tournée mondiale avec le Crazy Horse. Tournée triomphale qui pour la première fois passe par le Japon et l’Europe continentale. La France, où le Loner est toujours très populaire depuis Harvest, a donc l’honneur d’accueillir pour la première fois Neil Young qui donne des entretiens pour les magazines Rock & Folk et Best, tout de même assez laconiques : « Si je n’ai pas donné plus d’interviews, c’est que je n’ai rien à dire et je n’ai toujours rien à dire ». Le premier concert français de Neil Young et de son Cheval Fou a donc lieu le 23 mars 1976 au Pavillon de Paris, porte de Pantin, Young y exécutera, pour l’une des premières fois, le titre Like A Hurricane. Billy Talbot déclarera à propos de cette tournée : « Neil était tout simplement éblouissant. Je nous ai entendu jouer comme je savais que personne ne pourrait jouer ». Pas très modeste tout ça...

Young continue donc de bosser avec Stills pour leur projet commun. Au milieu des sessions, il choisit de faire appel à David Crosby et Graham Nash afin de faire du projet un nouvel album de Crosby, Stills, Nash & Young. Les deux hommes, qui étaient en train de travailler ensemble sur un album qui aura pour titre Whistling Down The Wire, quittent tout, enchantés par l’idée de ses retrouvailles, et rejoignent Young et Stills. Cette nouvelle tentative de travail à quatre est une catastrophe puisque Young et Stills prennent la décision d’effacer les parties de chant de Nash et Crosby ce que ces derniers ne leur pardonneront, sans doute à juste titre, jamais. « Qu’ils aillent se faire foutre », dira Nash, offusqué, « j’ai supporté n’importe qu’elle rupture mais là, c’était dégueulasse ! ». La brouille est complète et Young et Stills finissent tant bien que mal un disque qui sort en octobre 1976 sous le titre de Long May You Run. Il comporte cinq compositions de Young et quatre de Stills que Young a poussé à se remettre à écrire ne voulant pas assumer tout le travail seul. L’album restera 18 semaines dans les charts américains mais résistera mal à l’épreuve du temps, n’étant plus aujourd’hui très écouté. Seul le titre éponyme (écrit en hommage à « Mort », le corbillard, par Young juste après que le véhicule les ait lâchés durant les années canadiennes) peut être de la qualité des compositions de Zuma, et encore. Ironie de l’histoire, l’album de Nash et Crosby, Whistling Down The Wire, sera un bien plus grand succès que l’opus de Stills et Young.


Très attendu, le duo part en tournée à travers le pays mais, alors qu’ils sont sur la route depuis 18 jours, Young plante Stills à Charlotte en Virginie, officiellement pour des problèmes de gorge. On sait depuis que Young ne supportait pas l’état encore assez larvesque de son collègue. Il lui aurait envoyé un télégramme avec le message suivant : « Cher Stephen, c’est fou comme les choses qui démarrent spontanément prennent fin de la même manière. » Encore amer par cette nouvelle expérience foireuse avec son ancien collègue des 60’s, Young se tourne à nouveau vers son Cheval préféré et part avec lui en tournée américaine, travaillant au même moment sur un nouveau projet : Decade, une compilation sous forme de triple album qui doit résumer les dix dernières années de sa carrière. Finalement, le projet est vite repoussé et Neil Young choisi de se consacrer à un nouvel album annoncé (avec le tracklisting !) par la maison de disque pour décembre 1976 et qui doit s’intituler Chrome Dreams. La même année, le jour de Thanksgiving, Neil Young est de la partie au Winterland de San Francisco pour fêter la fin de la carrière du Band. Il participe donc avec entre autres Van Morrison, Eric Clapton, Muddy Waters et même Bob Dylan à cette auto-commémoration du monde du rock. Il jouera ce soir là I Shall Be Realesed, Four Strong Wind et une poignante version de Helpless accompagné de Joni Mitchell (qui apparemment ne lui tient pas rancune pour le Stupid Girl de Zuma), seul titre conservé sur le film de Martin Scorcese, The Last Waltz. Il semblerait que Scorsese ait dû retoucher les bandes pour ne pas qu’on aperçoive des traces de cocaïne sur le nez du Loner. Ça la foutrait mal pour une star autoproclamée anti-drogues. Comme quoi, la fête devait être bien spéciale !

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Mitchell et Young lors de la soirée pour The Band

Toujours prêt à remettre ses projets en question, Young refuse finalement que les bandes Chrome Dreams soient publiées et compose à la place American Stars’n’Bars qui sort en juin 1977, album composé d’une première face très country consacrée à l’histoire des États-Unis et d’une deuxième plus rock sur la culture des bars qu’il fréquente beaucoup à l’époque. Deux femmes l’accompagnent (qu’il a justement rencontrées dans des bars et enregistrées à leur insu), Linda Ronstadt et Nicolette Larson, que Young a rebaptisé, dans son continuel souci de mettre un nom sur tout ce qu’il fréquente, les Saddle Bags. Young aura d’ailleurs une rapide liaison avec Nicolette Larson. Le disque est un peu bricolé à la va-vite puisque Young y ajoute des chutes de Homegrown et le tour de force du Crazy Horse en live : Like A Hurricane. On y trouve aussi une collaboration avec Emmylou Harris sur le titre Star Of Bethlehem. La pochette réalisée par Dean Stockwell (la même personne qui avait filé un script à Young à la base d’After The Gold Rush) est assez étrange, mêlant visage écrasé du Loner, bouteille d’alcool et... poupée géante (si quelqu’un souhaite vendre son vinyle, je suis preneur !). Pourtant l’album, pas vraiment une franche réussite, sera disque d’or et restera quinze semaines dans des charts. Dans la foulée, Young ressort le projet de Decade et finit par le publier en septembre 1977. Compilation idéale de l’âge d’or de Neil Young, le disque a le mérite d’être accompagné de nombreuses notes de la main du Loner sur chacune de ses compositions. On y trouve même quelques raretés comme Down To The Wire, morceau de l’époque du Buffalo Springfield. Bref, le cadeau idéal, ce qui expliquera l’énorme succès qu’a rencontré Decade, rapidement disque de platine aux États-Unis.

Neil Young, au sommet de sa popularité, peut alors vivre pleinement sa vie de rock star. Il commence à collectionner les voitures des années 1940 ainsi que les voiliers. Il emménage même à Santa Cruz avec ses nouveaux amis le bassiste Bob Mossely (un ancien de Moby Grape) et le guitariste Jeff Blackburn. Avec le batteur Johnny C. Craviotto, ils forment un groupe appelé les Ducks et se lancent dans une petite tournée des bars où le groupe joue des titres très rock’n’roll. Gardant l’anonymat, Young assure les parties de lead guitar et prend du bon temps, multipliant les blagues sur scène autour du nom ridicule des Ducks et discutant des heures (si, si !) avec le public après les concerts. Malheureusement pour lui, la presse découvre ses activités et les rend public ce qui a pour conséquence inévitable d’augmenter le public des bars, certaines personnes réclamant des titres d’Harvest (!). Young devra mettre fin à une des expériences de sa carrière où il aura sûrement pris le plus de plaisir, retrouvant l’atmosphère de ses débuts avec les Squires au Canada.


Finalement, Young repart dans un nouveau projet montant un orchestre entier pour son prochain disque : le Gone With The Wind Orchestra (composé du Crazy Horse, des musiciens des Stray Gators plus d’autres - on y retrouve même Nicolette Larson, qui cette fois-ci semble avoir été enregistrée de son plein gré -.) Se produisant une seule fois avec cette formation d’une trentaine de personnes (à Miami, en octobre 1978, offrant les recettes du concert aux hôpitaux s’occupant d’enfants handicapés), Neil Young sort en décembre 1978 l’excellent Comes A Time où il apparaît sur la pochette avec un chapeau de pailles, l’air complètement réjoui (à mille lieux, donc, de la pochette de Tonight’s The Night d’il y a trois ans.)

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Comes A Time : la renaissance acoustique

Le disque, qui devait s’appeler au départ Ode To The Wind, est une réussite incroyable, prenant la suite d’Harvest parmi ses albums les plus acoustiques, mais cette fois-ci, avec des arrangements classiques d’une grande beauté et sans grandiloquence. Un disque magnifique donc, auquel participe même en voisin JJ Cale. Young est donc comblé par le succès de l’album qui atteint la septième place des charts. Il commence à cette période une relation avec une voisine de son ranch californien, Pegi Morton, avec qui il s’occupe de son fils Zeke. Pour l’anecdote, c’est en achetant des petits trains électriques pour son fils que Young se prend d’une réelle passion pour la chose ferroviaire jusqu’à participer financièrement dans l’entreprise Lionel Trains (on ne rigole pas !). Menant une vie sédentaire avec Pegi, comme cela lui était rarement arrivé, il décide de se lancer dans un nouveau projet cinématographique avec Dean Stockwell qu’il baptise Human Highway, titre qui, au départ, devait être celui d’un album de Crosby, Stills, Nash & Young (souvenez-vous, les vacances communes à Hawaï). Ce projet durera quatre longues années et n’aboutira jamais vraiment. En plein bonheur conjugal, Young se marie pour la troisième fois avec Pegi le 2 août 1978 alors qu’elle est déjà enceinte. Pendant leur voyage de noces aux Bahamas sur un des nombreux voiliers du Loner, celui-ci à l’idée d’une mise en scène particulière pour sa tournée qui doit suivre la parution de Comes A Time. Il souhaite réaliser une véritable parodie du cirque rock de l’époque grâce à un décor démesuré (comme quoi U2 avec ZOO TV n’a vraiment rien inventé) composé d’amplis géants, d’un immense harmonica et de roadies déguisés en personnages de Star Wars. Ce décor sera bien celui de la meilleure tournée de Young avec le Crazy Horse, furieusement électrique alors que le disque qui en était le point de départ est acoustique. En pleine période d’inspiration, Young teste sur scène de nombreux morceaux inédits et c’est là qu’apparaît l’hymne de tout une génération, Hey Hey, My My (Into The Black), inspiré par la mort d’Elvis et qui fait un lien avec le récent mouvement punk que Young a découvert lors d’un voyage en Angleterre : « The King is gone but he’s not forgotten. In this the story of Johnny Rotten ? » Young est attiré par le mouvement punk et ses représentants ne le renieront jamais, contrairement à ce qu’ils ont fait avec Pink Floyd ou encore les Rolling Stones, autres dinosaures du rock. Rotten, le leader des Sex Pistols, annoncera même que le titre Revolution Blues (sur On The Beach) est un de ses morceaux préférés d’une histoire du rock qu’il envoie chier dans sa plus grande majorité (quel honneur !)

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Le temps des amplis géants

Au même moment, alors qu’il continue à réfléchir sur son ambitieux projet de cinéma, Young rentre en relation avec un étrange groupe de New Wave issu de l’Ohio : Devo. Young les filme pour Human Highway et est surpris de voir l’un des membres qui porte un T-Shirt ou est inscrit : « Rust never sleeps ! ». Gardant le nom en tête et en faisant la métaphore de sa réflexion sur le vieillissement dans le monde du rock, il en fait également le titre de son nouveau disque, chef-d’œuvre incroyable, qui sort en juin 1979. Live ensuite retravaillé en studio, Rust Never Sleeps est uniquement composé de nouveaux morceaux. Et quels nouveaux morceaux ! Composé d’une première partie acoustique et d’une seconde électrique, Young place aux deux extrémités du disque le fameux Hey Hey, My My... (devenu My My, Hey Hey (Out Of The Blue) en version acoustique, les deux titres sortiront d’ailleurs en single en septembre 1979). On y trouve également Trasher, titre sur ses relations tumultueuses avec Crosby, Stills et Nash ou encore Pocahontas qui évoque le génocide indien. Salué unanimement par la critique qui fait de lui l’artiste rock qui sait le mieux vieillir et se renouveler, Young atteint un nouveau niveau de popularité sans précédent : « Rust Never Sleeps parle de ma carrière, plus j’avance, plus je dois combattre la corrosion ».

Dans la foulée, Young publie une vidéo (Live Rust) d’un concert au Cow Palace de San Francisco dans son intégralité. Officiellement réalisé par l’inconnu Bernard Shakey, ce film est bien l’œuvre de Young qui utilise ce pseudonyme pour ses velléités de cinéaste. Le double disque du concert qui sort au même moment (également appelé Live Rust) reçoit quelques critiques négatives voyant l’objet comme une simple opération commerciale sans grand intérêt après la publication de Rust Never Sleeps. Pourtant, c’est une des rares occasions d’entendre des classiques de la carrière de Neil Young en live (Cinnamon Girl, After The Gold Rush, The Loner, The Needle And The Damage Done...) avec un Crazy Horse au meilleur de sa forme. Rappelons ce que disait Young à propos d’une tournée au niveau sûrement inégalé : « Je voulais que les gens partent en se disant que le show de Neil Young était le truc le plus bruyant qu’ils aient jamais entendu ».
Entre temps, le Loner, qui va vers ses 35 ans, a trouvé le temps de produire le deuxième album du Crazy Horse tout seul : Crazy Moon. Il a tout pour être comblé puisque plusieurs magazines (Village Voice, Rolling Stone) le plébiscitent comme « artiste le plus important de la décennie ».

Mais c’est sans compter sur une nouvelle tragédie qui s’abat sur sa vie privée. En novembre 1978, sa femme Pegi accouche de Ben, enfant à nouveau atteint de paralysie cérébrale, cette fois-ci encore plus développée que pour Zeke. Les deux enfants étant de deux mères différentes, Neil Young pense d’abord que c’est lui qui a transmis ce disfonctionnement à ses enfants. Mais les deux troubles des deux fils de Neil Young sont de natures différentes et les analyses prouvent bien qu’il s’agit d’un incroyable signe du destin. Pour couronner le tout, Pegi apprend qu’elle est atteinte d’une tumeur au cerveau mais elle est miraculeusement sauvée par une intervention chirurgicale deux mois plus tard. Accablé par tous ces événements inattendus et terribles, Young se retirera avec sa famille chez lui, entamant une période de silence artistique d’une durée alors indéterminée.
Beaucoup considère que c’est à partir de ce moment que la production musicale du Loner a perdu la plus grande partie de son intérêt. Ils n’ont peut-être pas tout à fait tort.


Longues années 80

En effet, elles seront longues les années 1980 pour Neil Young, où du moins pour ses fans, rudement mis à l’épreuve par les différentes formes que prendra la production du Loner pendant ces années. En effet, durant ce que beaucoup de fans de rock considèrent comme « la décennie maudite », Neil Young va prendre plusieurs « visages » dont certains pas très appréciables et dont on se demande toujours s’il s’agissait de masques ou de positions sincères. Allez savoir avec le Loner !

En tout cas, au début des années 1980, il consacre la majorité de son temps à sa famille et à son fils Ben à qui ses parents font suivre un traitement intense à la fois pour Ben et pour eux. L’année 1980 verra paraître tout de même un disque, mais complètement bâclé, le décevant Hawks And Doves, disque acoustique de country plus ou moins facile et au message inquiétant. En effet, les propos de Young dans ses chansons ont soudainement changé depuis la naissance de son deuxième enfant. Le Loner exalte maintenant les valeurs patriotiques et familiales ! Oui, je sais ça à de quoi surprendre ! Ça donne des paroles comme « I’m proud to be a Union man... ». Un titre comme Hawks And Doves, chanté par Young avec un affreux accent sudiste, contient même une partie de chœur qui se limite à scander « USA ». Bof, bof, pas très convaincant et surtout très étonnant... En tout cas, sûrement pas le meilleur de disque de Neil Young, plutôt un de ses pires. Cette même année, il participe à la bande originale du film d’Hunter Thompson : Where The Buffalo Roam, jouant de la guitare sur le titre Home Home On The Range et à la fin de l’année il convoque ses acolytes du Cheval Fou pour quelques sessions chez lui afin de préparer un nouveau disque de Neil Young And Crazy Horse. Petit problème, Young est toujours très pris par les exercices de son fils et ne peut se concentrer pleinement à ce projet, du moins pas d’une façon très libre. Poncho déclarera en souvenir de cette période : « Les séances commençaient à 10 heures du matin, comment voulez-vous faire du rock à cette heure-là ? »

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Le correct Re-Ac-Tor

Pourtant Re-Ac-Tor, le disque qui ressort de ce travail est convaincant, retrouvant une fougue électrique qu’on n’avait pas vu depuis le Live Rust. Pour l’anecdote, on retiendra la phrase en latin inscrite au dos de la pochette et légèrement pompeuse : « Deus, dona mihi serenitatem accipere res quae non possum mutare, fortitudinem mutare res quae possum, atque sapientiam diffrentiam cognossere. » En gros, il place sa création sous l’autorité divine, peut-encore par provocation, mais bon...
En tout cas, Neil Young, peu inspiré musicalement, n’en oublie pas sa passion cinématographique et son projet Human Highway qui voit enfin le jour en janvier 1982. Cette « comédie à propos d’une tragédie » où Young joue le rôle d’un garagiste limité voulant devenir une rock star est loin de faire l’unanimité, le magazine Vox affirmant à son propos qu’il s’agit bien là « d’un des pires films jamais réalisés ». La deuxième aventure cinématographique de Neil Young sera donc un fiasco et le film ne sera même pas distribué dans les salles américaines, réalisant une maigre carrière en vidéo.

Finalement, Neil et Pegi décide de stopper le programme d’exercices imposés à Ben au profit d’un plus léger ce qui offre au Loner plus de temps pour se consacrer à la musique, ce qu’il ne manque pas de faire, se procurant à cette époque un vocoder (instrument permettant de faire sonner sa voix comme un robot). Il compose de nouveaux titres avec cet objet qu’il décide d’aller défendre lors d’une tournée avec une nouvelle formation, le Trans Band, où l’on retrouve Bruce Palmer (eh, oui, toujours en vie), Ralph Molina, Nils Lofgren et le fidèle Ben Keith des Stray Gators. Inutile de dire que la tournée est un bide, Young jouant des nouveaux titres electro à un public toujours fan du Young folkeux. Au concert de Londres, c’est après avoir fait fuir la moitié de la salle avec ses nouvelles compositions, que Young se lancera dans ses classiques lors de la dernière heure du concert.


A ce moment là, Neil Young a quitté Reprise (son label historique depuis 1968) au profit du nouveau label Geffen Records, fondé par David Geffen, l’ancien partenaire de son manager Elliot Roberts. Geffen entend bien se faire du fric sur la notoriété de Young même si officiellement, il n’a rien contre les nouvelles orientations musicales de l’artiste. L’album Trans, à la suite du « Trans Tour », sort donc dans la foulée chez Geffen en décembre 1982, qui achèvera de troubler son public tant l’album ressemble plus à du Kratwerk (mais du mauvais !) que du Neil Young. L’album atteint tout de même la 19ème place des charts américains ce qui encourage le Loner à repartir en tournée avec de nombreuses machines et un faux présentateur TV parlant à travers un écran géant (on ne se refuse rien !) Notons que Trans contient tout de même le titre intéressant Transformer Man, confidence de l’artiste sur son fils qui sera très bien revisité dans l’Unplugged de nombreuses années plus tard. Mais pourquoi aller revisiter Mr.Soul de la période Buffalo Springfield façon « cyber punk » ? La question reste posée.

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La fameuse banane !

Toujours prêt à changer de veine rapidement, Young décide alors de se lancer dans un nouvel album acoustique dans le style de Harvest, mais Geffen (avec qui les choses commencent à s’envenimer) refuse exigeant un disque « plus rock ». Young va alors le prendre au mot publiant un disque de pur rock’n’roll : Everybody’s Rockin’ composé avec un nouveau groupe du nom des Shocking Pinks et qui sort en août 1983. Geffen rit jaune car l’album, d’à peine 24 minutes, présente une musique dans le plus pur style rockabilly, Young poussant le vice jusqu’à apparaître sur la pochette déguisé en chanteur 50’s avec une banane pas très au goût du jour. Young feint alors l’artiste maudit et explique à la presse son projet sereinement : « Les séances d’enregistrement ont été stoppées par Geffen alors que je n’avais pas terminé mon disque. Avec deux chansons en plus, l’histoire des Shocking Pinks aurait pris tout son relief : celle de mecs qui se baladent dans un camion pour jouer leurs chansons à travers toute l’Amérique ».
Excédé par tout ça, Geffen exige de Young trois millions de dollars de dommages et intérêts accusant l’artiste de publier délibérément des « disques non commerciaux et non représentatifs de ses œuvres précédentes ». Young jubile alors, lui qui a réussi à ne pas se faire étiqueter : « En sortant des disques pareils, je détruisais ce que j’avais créé auparavant. Chaque fois que je construisais quelque chose, je m’empressais de le détruire dès que possible. Avant que les gens ne puissent se dire : « Voilà, ça c’est Neil Young ».

L’année 1984 est marquée par la naissance d’un troisième enfant pour Neil et Pegi. Bonne nouvelle ; la petite fille Amber Jean est en parfaite santé ce qui a dû soulager Young, composant à cette occasion le morceau Amber Jean, jamais publié car jugé trop personnel.
Neil Young va donc finalement compléter son projet d’album acoustique et publiera Old Ways en août 1985, disque abordable mais franchement pas transcendant, qu’il part soutenir en tournée avec un nouveau groupe de country, les International Harvesters. Toujours en procès avec Geffen, il se joue alors de lui : « Si vous ne retirez pas votre plainte, je continuerai à faire de la country. Alors vous serez dans l’impossibilité de me poursuivre car ce sera devenu mon style ». C’est à cette époque, que Young va commencer à affirmer des opinions politiques, à la mesure des envolées patriotiques entrevues sur Hawks And Doves. Young se déclare alors pro-Reagan et contre le désarmement américain. Il affirme même que l’intervention américaine au Vietnam fut un « coup de main » au pays. Incroyable, après le protest singer d’Ohio et les diverses charges contre Nixon au début des 70’s, Young devient conservateur, voilà qui est bien déroutant. Exaltant toujours les valeurs familiales, Pegi et lui sont même nommés « Parents de l’année » par divers magazines sûrement peu rock’n’roll.


À Philadelphie, en juillet de cette même année 1985, Bob Geldof organise le fameux Live Aid où Young participe deux fois avec les International Harvesters et avec ... Crosby, Stills et Nash, puisque Crosby est revenu de ses divers problèmes avec la justice en raison de sa forte consommation de stupéfiants.

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Participation au Live Aid

Ce soir-là, il croisera Dylan qui lui fera la remarque suivante : « Certes, il faut soutenir le continent africain, mais quand est-il des fermiers indépendants américains qui croulent sous les charges et ne peuvent assumer ? ». Ce Dylan, il y avait déjà du José Bové en lui ! Il n’en faut pas plus pour Young qui se lance dans la médiation entre fermiers et politiques ! Il montera également le Farm Aid, sur le modèle du Live Aid, récoltant pour la première édition près de neuf millions de dollars, et proposant une affiche avec Joni Mitchell, Lou Reed, Tom Petty ou même BB King. Le Farm Aid deviendra un rendez-vous annuel jusqu’en 2001. Comme c’est la mode des concerts de charité, on voit Young jouer pour Greenpeace ou encore pour une association de vétérans du Vietnam. Il se lance lui aussi dans une nouvelle aventure en créant une école à San Francisco destinée à aider la scolarité d’enfants handicapés : la Bridge School. Le premier Bridge Benefit Concert a donc lieu en octobre 1986 et va ensuite avoir lieu tous les ans, récoltant des fonds pour le bon fonctionnement de l’école. En 1997, est parue une compilation regroupant le meilleur des dix premiers concerts où on peut entendre les performances de Beck, David Bowie, Elvis Costello ou encore Patti Smith.

Mais bon, tout cela n’empêche pas Neil Young de rester limité d’un point de vue musical. En juillet 1986, sort, à mon sens, son pire disque : Landing On Water, album acerbe (comme sur Hippie Dream) bardé de synthés horribles qu’il vaut mieux oublier. Heureusement, la tournée qui suivra le disque ne lui ressemblera pas puisque Young repart avec le Crazy Horse (qu’il baptise alors « le troisième meilleur groupe garage du monde », allez savoir qui sont à cette époque les deux premiers, mais bon...) et joue résolument électrique. La tournée n’est franchement pas une réussite commerciale puisque plusieurs dates européennes doivent être annulées et d’autre déplacées dans des plus petites salles. La cote de popularité de Young baisse, sans doute à cause de ses expérimentations pas toujours réussies. Young filmera cette tournée pour en faire le documentaire Muddy Track dont on retrouvera quelques extraits dans le futur film de Jim Jarmush consacré au Crazy Horse, Year Of The Horse. Un album live sortira tout de même, Life, descendu par la critique comme celui de trop, mais qui a la particularité d’être le dernier disque de Young pour Geffen Records.

C’est finalement un retour aux sources musicales qui va peut-être sauver Neil Young de cette spirale infernale qui marque sa production 80’s. Il est en effet invité à Winnipeg à l’occasion de la sortie d’un livre sur la scène rock de la ville. Young y est accueilli en héros et va même le temps d’un soir retrouver les Squires (!) pour un concert unique plus de trente ans après l’existence de cette formation locale. Rendu nostalgique par l’événement, Young a même l’idée, à condition que Crosby parte en cure de désintoxication, de reformer une nouvelle fois ce bon vieux quatuor de Crosby, Stills, Nash & Young et donne rendez-vous à ces compères chez lui aux premiers jours de l’année 1988.
En même temps, il part en tournée avec un groupe baptisé Blue Notes, sorte de Big Band hétéroclite qui contient une section de cuivre. Un single This Note’s For You voit Neil Young faire son premier vidéo-clip dont il confie la réalisation à Julian Temple également connu pour ses documentaires sur les Sex Pistols. Le clip est un petit chef-d’œuvre mettant en valeur les propos satiriques de Young sur ces artistes se vendant à des marques d’alcool ou de voitures (la mode ayant été lancée par la collaboration de Pink Floyd avec Gini). On y voit Whitney Houston verser du pepsi pour éteindre un feu qui ravage la chevelure de Michael Jackson. Le clip est bien sûr censuré par MTV même si la même chaîne en fait le meilleur clip de l’année !

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La parenthèse cuivrée

En tout cas, le LP This Note’s For You est sûrement la meilleure chose faite par Neil Young depuis longtemps. Enfin une expérimentation réussie a-t-on envie de dire. Le mélange de rock avec une section de cuivres amène Young à titiller un secteur où il s’enracine fondamentalement sans l’avoir vraiment exploité : le blues. En plus, le discours de Young change et devient plus pertinent vis-à-vis d’un ultra-libéralisme reaganien qui a mis pas mal de monde dans la rue (Crime In The City).


Fort de ce nouveau succès, Young prend avec lui la rythmique basse/batterie du Blue Notes qu’il baptise Restless puis Lost Dogs quand son chien meurt et, alors en tournée en Australie, publie un EP en mars 1989 uniquement destiné aux marchés japonais et australien, Eldorado, composé de cinq titres très rock qui dépotent. On y notera le virulent Cocaine Eyes, critique à l’égard de la paranoïa croissante de Stephen Stills qui se ballade maintenant toujours armé rappelant à qui veut bien l’entendre ses états de service au Vietnam.
Car, attention, Crosby, Stills, Nash & Young a tout de même réussi a faire un disque ! Près de vingt ans après Déjà Vu, son successeur s’appelle American Dream et sera un échec relatif lors de sa sortie en novembre 1988. En tout cas, pas question pour Young de partir en tournée avec le quatuor, Crosby et Stills restant des épaves (apparemment, ça va mieux pour Nash). Young préfère se consacrer à ses propres productions qui depuis This Note’s For You, l’ont remis sur le devant de la scène : « J’ai toujours été là », déclarera-t-il a posteriori, « pendant deux ans au début des années 80 je n’ai rien fait mais à part ça j’ai toujours beaucoup travaillé ».

En 1989 en tout cas, trois gloires du rock 60’s sortent un album presque en même temps. Lou Reed produit New York, Dylan Oh Mercy et Young Freedom en octobre. C’est bien Young qui semble avoir le mieux vieilli et son disque est tout simplement l’un des meilleurs de sa carrière. On retrouve le protest singer des temps passés avec Rockin’ In The Free World, satyre des travers de l’Amérique des 80’s qui ouvre et conclut l’album (procédé déjà utilisé par le Loner sur Tonight’s The Night puis sur Rust Never Sleeps). Young reprend même un titre des Drifters de 1963, Oh Broadway, pour pointer les faiblesses sociales du système américain où les sans-abris sont si nombreux.
C’est donc reparti pour le Loner qui après des années assez troublantes retrouve sa pleine inspiration et va alors pouvoir être panthéoniser par ses pairs.

L’éternelle jeunesse

Alors qu’il revient au meilleur de sa forme, Neil Young est, au début des années 1990, la source d’un véritable culte par les nouvelles générations émergentes. Comme pour les punks à la fin des années 1970, il est vu par les nouveaux groupes comme un artiste ne faisant pas de concessions et toujours tourné vers sa musique. Aussi bien à l’est des États-Unis avec les groupes de la scène de rock indépendante (Sonic Youth, Pixies...) qu’à l’ouest avec la naissance du mouvement grunge (Nirvana, Pearl Jam), tout le monde rend hommage au Loner et un premier tribute album sort même en juillet 1989 avec des reprises des plus grands titres du Loner par Nick Cave, Sonic Youth, The Faming Lips, les Pixies ou encore Dinosaur Junior. Les profits faits sur les ventes du disque, intitulé The Bridge, iront bien entendu à l’école Bridge School. Sûrement touché, Young n’aura qu’une réaction à l’époque, toujours dans un style laconique : « J’espère que ça ne veut pas dire qu’il est temps pour moi d’arrêter ».
Pendant ce temps là, Young parcourt l’Europe avec une tournée acoustique où il dédicace chaque soir le titre Ohio au « jeune gars qui s’est placé en face des chars sur la place Tian’an men ».
Finalement, un nouveau disque de Young avec le Crazy Horse voit le jour et il faut bien avouer qu’on n’avait pas vu de production du combo plus survoltée depuis... leur première Everybody Knows This Is Nowhere.

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La fureur électrique est de retour !

Ragged Glory, qui sort en septembre 1990 se compose de morceaux de plus de 10 minutes et sonne parfaitement dans l’air du temps au moment où le mouvement grunge explose (notons d’ailleurs que le grunge a tout piqué niveau look à Neil Young, les chemises de trappeur et les jeans troués, c’est pas très nouveau). Le dernier titre de l’album Mother Earth est une longue impro bourrée de larsens qui fait penser à la version du Star Spangled Banner d’Hendrix à Woodstock. C’est à cette période que Young déclarera être inspiré, dans ses soli de guitare par « la musique jazz et notamment John Coltrane ». Certes, la déclaration est un peu pompeuse. Dans la foulée d’une tournée monumentale, Young publie un nouveau disque live Weld en octobre 1991. Une édition (très) limitée propose un disque supplémentaire, le projet Arc inspiré par l’esthétique noisy rock popularisée par Sonic Youth qui a alors accompagné le Loner en première partie de sa tournée : « Je leur ai montré Muddy Track, mon documentaire sur la tournée Crazy Horse de 86 et 87. ils ont aimé la musique et m’ont encouragé à faire un album uniquement composé d’intros, de fins de morceaux et de parties sans le beat ». Ça donnera Arc !


Mais ce déluge de guitare apocalyptique ne va pas sans poser quelques problèmes de santé à Neil Young (qui, il faut bien le rappeler à cette époque, et malgré son nom, commence à se faire vieux !) À cause d’oreilles bousillées, Neil Young va donc revenir à ses premières amours acoustiques publiant vingt ans après Harvest un nouveau disque avec les Stray Gators, logiquement appelé Harvest Moon et qui sort en novembre 1992. Véritable succès, le disque se classera par exemple dans le top 10 britannique, l’album est calme et apaisé, parlant d’amour et de joies familiales ce qui peut surprendre aux vues de la dernière tournée. Ce qui n’a pas l’air en revanche de surprendre l’intéressé : « Je ne vois absolument rien d’anormal à ce supposé changement. Ça fait 25 ans que ça dure, mes changements sont aussi faciles à prévoir que le lever et le coucher du soleil ». Pour la première fois, Young introduit dans ses chœurs sa demi-sœur Astrid parmi les nombreuses voix qui l’accompagne. Notons l’introduction au disque d’une nouvelle composition pacifiste War Of Man avec le slogan fédérateur : « No one wins, it’s a war of man ». En tout cas, l’album est unanimement considéré par la presse comme l’un des tous meilleurs de l’année 1992 et Neil Young conforte son retour au premier plan sur la scène musicale ce qui lui permet de développer quelques théories personnelles sur la musique, notamment sur la récente invention du CD, dans un édito du magazine Guitar Player : « C’est de la merde, je ne vois pas où est le bénéfice ». Catégorique, l’ami Neil.
Durant cette même fin d’année 1992 a lieu au Madison Square Garden de New York un hommage à Bob Dylan pour ses trente ans de carrière avec sa maison de disque. Tout comme Harrison, Lou Reed, Clapton, Roger McGuinn ou Johnny Cash, le Loner est de la partie et bénéficie de la rythmique de feu du groupe mythique Booker T. And The MG’s. Il y exécute des versions formidables de Just Like Tom Thumb’s Blues et All Along The Watchtower qu’on peut retrouver sur le disque de cette soirée : Bob Dylan, The 30th Anniversary Concert Clebrations.

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Young avec Dylan et Clapton

Alors qu’on ne pensait pas la chose possible, Young, durant l’année 1992 se réconcilie avec Geffen et les deux décident de sortir une compilation des « œuvres » de Young sorties chez Geffen Records. La compilation Lucky Thirteen sort donc en janvier 1993. Young en est très content et malgré le bide commercial monumental (le disque ne rentrera même pas dans les charts américains), il déclarera : « Peut-être qu’il faudrait voir l’ensemble de ma production dans les 80’s comme un seul disque. Ce serait sans doute plus facile à comprendre pour les gens ». Il semblerait que non. Pourtant Young avait pris soin d’ajouter quatre inédits à la chose pour rendre l’achat indispensable auprès des fans hardcores. C’est con pour Geffen, même là-dessus, il n’aura pas pu se faire trop de fric.

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Le temps de tout débrancher

1993 est aussi l’année où Neil Young se sacrifie à la mode des concerts unplugged réalisés par MTV. Après Clapton et Springsteen, c’est donc au tour de Neil Young de s’y coller, qui prend la chose à cœur puisque la performance est d’un certain niveau. Enregistrée le 7 février 1993, on y retrouve une sacrée version de Like A Hurricane (avec Nils Lofgren à l’accordéon) et une version de Transformer que le jeu acoustique transforme (c’est le cas de dire !). La soirée se conclue sur un sûrement nostalgique Long May You Run, issu de l’expérience du Stills-Young band, qui prouve que Neil n’a pas totalement oublié son corbillard de jeunesse.

Se souvenant de son expérience enrichissante avec Booker T. And The MG’s lors de la soirée en l’honneur de Dylan, Young propose au groupe de partir dans une folle tournée électrique avec lui. Jim Keltner remplace le batteur d’origine Al Jackson et c’est parti ! La France aura le droit à un des shows, le 7 juillet 1993, ou Young et sa nouvelle bande reprenne Sittin’ On The Dock Of The Bay, originellement chantée par Otis Redding mais composée par le guitariste de MG’s, Steve Cropper présent dans cette épopée youngienne. La tournée se poursuit aux États-Unis où des groupes de la nouvelle génération se succèdent en première partie (Snow Temple Pilots, Pearl Jam...) reprenant à chaque fois le nouvel hymne du Loner : Rockin’ In The Free World.

Toujours infatigable et alors qu’il retravaille maintenant avec le Crazy Horse, Young est très touché par la mort de Kurt Cobain avec qui il a entretenu des relations fortes. Ironie de l’histoire, le leader de Nirvana avait inscrit à la fin de sa lettre annonçant son suicide en avril 1994 : « Mieux vaut exploser en vol que de mourir à petit feu ». Phrase de Young sur Rust Never Sleeps. Quand sort le triste Sleep With Angels en septembre 1994, beaucoup y voient l’expression par le Loner de sa tristesse face à la mort du héros grunge. L’album est vite appelé le « Tonight’s The Night des 90’s » et fait un véritable carton atteignant les top 10 américain et britannique. Pourtant Neil Young ne fera aucun effort de promotion pour cet album, n’en parlant jamais véritablement. Un an plus tard, il déclarera à Nick Kent : « Je n’ai jamais expliqué les raisons pour lesquelles j’ai fait cet album et je ne vais pas commencer maintenant ».


En 1995, Neil Young se fait discret. Il compose le titre éponyme de la bande originale du film Philadelphia de Jonathan Demme, obtenant pour cela une nomination au Grammy Awards. C’est en effet le temps des récompenses pour le Loner qui est intronisé la même année au Rock and Roll Hall Of Fame recevant sa récompense des mains de celui qui lui doit beaucoup : Eddie Vedder. Young profitera de son discours pour rendre un dernier hommage à Kobain : « Il m’a vraiment inspiré, il était génial, merveilleux ». Après un concert pour le droit à l’avortement où il partage l’affiche avec Pearl Jam, Young se rapproche encore plus du groupe et part à Seattle pour enregistrer avec eux ce qui, au départ, ne doit être que quelques titres.

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Le parrain de Pearl Jam

En quatre jours, un album complet est fait qui sortira dans la foulée en juin 1995. Mirror Ball, album sauvage, ne crédite pas Pearl Jam en tant que groupe mais les musiciens sont bien ceux du combo de Seattle, Vedder tenant la guitare rythmique. Le disque est survolté, pour la première fois depuis longtemps (depuis le Buffalo en fait, mais ce n’était pas le même genre de musique), Young évolue dans une formation à trois guitaristes et s’en donne à cœur joie. Young devient alors l’idole des jeunes à près de cinquante ans. Durant un festival à San Francisco, alors que Vedder est souffrant, Young le remplace au pied levé stupéfiant cinquante milles jeunots qui découvrent que la vieille gloire 60’s a autant de pèche que leurs héros chevelus de Seattle. Young continuera l’expérience dans une tournée des festivals de Pearl Jam à travers l’Europe qui malheureusement ne passera pas par la France, il faut dire qu’à l’époque notre président faisait joujou avec le nucléaire à l’autre bout du monde ce qui n’a pas dû plaire au vieux hippie.

C’est à cette époque que meurt le compagnon de toujours de Young, David Briggs, son producteur depuis son premier disque solo. Alors que Young exemplifiait encore peu de temps avant la vision organique du rock de Briggs à travers l’Europe avec Pearl Jam, Briggs s’éteint le 26 novembre 1995. Il avait entre autre déclaré la « maxime » suivante : « Quand tu fais du rock’n’roll, le plus tu penses, le plus tu pues. Le rock, c’est élémentaire, comme le vent, la vie ou le feu. Le rock c’est le feu, mec, le feu ».

En cette fin d’année 1995, Neil Young est contacté par Jim Jarmush en train de réaliser un film avec Johnny Depp et Iggy Pop, l’excellent Dead Man. Durant l’écriture du scénario le réalisateur mythique pour toute une génération de passionnés de ciné US indépendant, n’a écouté que du Neil Young et c’est logiquement qu’il contacte le Loner pour lui demander s’il peut utiliser un de ses morceaux pour la B.O. du film. Non seulement le Loner accepte mais propose de composer une bande originale complète pour le film. Réjoui, Jarmush accepte et Young ajoutera au film une musique instrumentale hantée à base de sons de guitare déchirants et auxquels le film doit beaucoup. Devenus amis, Young propose à son tour à Jarmush de réaliser le clip du premier single Big Time issu de son nouvel album Broken Arrow. Le disque bâclé (on y trouve par exemple une bizarre version live d’un titre de Jimmy Reed) est en fait un prétexte pour une nouvelle tournée de Young avec son Cheval préféré.

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Young et le réalisateur Jim Jarmush

Tournée mémorable que Jarmush immortalisera en Super 8 dans son documentaire Year Of The Horse, véritable hommage au Crazy Horse en tant qu’unité, où Young n’y apparaît qu’en temps que guitariste soliste. Truffé d’interviews des membres du groupe, Young déclare par exemple sur ce documentaire : « Dans Crazy Horse, je ne suis qu’un élément d’un tout. Il n’y a qu’avec eux que je sonne si psychédélique », ou encore : « Profitons que nous soyons encore là tous les quatre. Plus nous vieillissons plus cela est précieux ». Dans la foulée, sort un double disque live également appelé Year Of The Horse, assez critiqué pour n’être qu’une production live de plus. C’est vrai que ce n’est pas indispensable après avoir vu le documentaire de Jarmush.

Au mois de juillet, alors que Neil Young n’en finit pas de tourner avec le Crazy Horse, le Loner se coupe l’index en se confectionnant un sandwich au jambon (ce qui lui vaudra la réplique pleine d’humour : « Dorénavant, je ne mangerai plus que des macaronis au fromage ! ») et doit annuler sa tournée européenne. Il enregistre alors quelques titres acoustiques chez lui qu’il regroupe autour d’un projet appelé Acoustica. Directement remis de son doigt souffrant, il fait quelques dates aux États-Unis pour soutenir les artistes de son nouveau label qu’il vient de fonder Vapor Records (nom qui rappelle étrangement celui de V Records, label de Winnipeg où Young avait enregistré son premier titre avec les Squires) avec un festival itinérant appelé HORDE (Horizons Of Rock Developping Everywhere).
Commence alors toute une série de projets pour Neil Young qui ne verront pas tous le jour. Il cherche à enregistrer un album avec la rythmique des MG’s. Pour cela, il invite Ben Keith à co-réaliser le disque mais le projet échouera pour finalement renaître plus tard donnant le disque Silver And Gold de 2000. Il essaye aussi de recommencer l’expérience de Mirror Ball en jouant avec un jeune groupe et rentre en contact avec le groupe Phish mais tout cela part en fumée. Alors qu’il croise Stephen Stills afin d’y voir plus clair dans ses archives du Buffalo Springfield, ce dernier, qui compose avec Graham Nash quelques trucs dans leur coin, le branche pour une ultime reformation de Crosby, Stills, Nash & Young à laquelle le Loner ne dit pas non. Cela va aboutir au LP Looking Forward qui sort en novembre 1999. Malgré le peu de succès du disque (il est vrai, très moyen) le groupe annonce en grandes pompes le projet d’une tournée mondiale en l’an 2000 intitulée CSNY2K où les quatre parcourent les stades en reprenant leurs classiques mais aussi des compositions des artistes en solo. Inutile de dire que dans ces cas là, Neil Young, son corpus étant sans commune mesure avec celui de ses trois compagnons, est mis à l’honneur. Le XXème siècle se finit donc pour Neil Young par un retour à la formation qui lui a permis de véritablement lancer sa carrière. Juste retour des choses, peut-être voulu, vous ne trouvez pas ?


Épilogue

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Que nous réserve-t-il ?

Depuis plusieurs années, Neil Young se fait discret dans ses apparitions. Produisant tout de même des disques avec une régularité impressionnante mais à la qualité variable. On l’a vu partager l’affiche en juin 2001 à Paris avec Oasis, occasion pour le Loner de jouer quelques nouveaux titres. Le 11 septembre 2001, il aurait été très marqué par les attentats de New York et la cérémonie télévisée rendant hommages aux victimes lui a permis de frapper un grand coup avec un message à la clef. Il a en effet joué une poignante version d’Imagine au piano, titre qui retrouvait toute sa pertinence au moment où il était censuré sur les radios américaines pour « pacifisme explicite ». L’événement lui a aussi inspiré le titre Let’s Roll, reprenant les propos supposés d’un des passagers du vol qui allait percuter une des Twin Towers alors qu’il tentait de maîtriser les terroristes. On trouve ce titre sur l’album Are You Passionate ? d’avril 2002. Notons dans la récente discographie du Loner, un concept album, Greendale, conte musical sorti en août 2003 qui de l’avis général est une réussite dans une veine de conteur souvent tentée par Neil Young mais jamais encore vraiment réussie. De plus musicalement, le disque renoue avec les longs soli électriques du Loner toujours aussi captivants Quant au dernier LP Prairie Wind qui a remis le Loner sur le devant de la scène à la fin de l’année dernière, et bien, pour tout vous avouer, je ne l’ai pas encore écouté. Mais ça ne saurait tarder...

Discographie

(pour s’y retrouver dans tout ça) :

Avec Buffalo Springfield :

Buffalo Springfield (01/67)
Buffalo Springfield Again (12/67)
Last Time Around (08/68)

Avec Crosby, Stills, Nash & Young :

Déjà Vu (03/70)
4 Way Street (02/71)
American Dream (11/88)
Looking Forward (11/99)

Avec le Stills-Young Band :

Long May You Run (10/76)

Neil Young and... :

  • Crazy Horse
Everybody Knows This Is Nowhere (05/69)
Zuma (11/75)
Rust Never Sleeps (06/79)
Live Rust (11/79)
Re-Ac-Tor (10/81)
Life (06/87)
Ragged Glory (09/90)
Arc-Weld (10/91)
Sleep With Angels (09/94)
Broken Arrow (07/96)
Year On The Horse (10/97)
  • The Shocking Pinks

Everybody’s Rockin’ (08/83)

Seul (ou avec des groupes non crédités dans le titre) :

Neil Young (11/68)
After The Gold Rush (09/70)
Harvest (02/72)
Journey Through The Past, bande originale du film (11/72)
Times Fade Away (09/73)
On The Beach (07/74)
Tonight’s The Night (06/75)
American Stars’n’Bars (07/77)
Decade, compilation (11/77)
Comes A Time (11/78)
Hawks And Doves (10/80)
Trans (12/82)
Old Ways (08/85)
Landing On Water (07/86)
This Note’s For You (04/88)
Eldorado, uniquement sorti au Japon et en Australie (03/89)
Freedom (10/89)
Harvest Moon (11/92)
Lucky Thirteen, compilation (01/93)
Unplugged (06/93)
Mirror Ball, avec Pearl Jam (06/95)
Dead Man, bande originale du film (02/96)
Silver And Gold (04/2000)
Road Rock (12/2000)
Are You Passionate ? (04/2002)
Greendale (08/03)
Prairie Wind (11/05)

Sources ayant aidé à la réalisation de cette story :

Jean-Do Bernard, Neil Young, en remontant la rivière, Editions Alternatives, 1997.

Alexis Petridis, Neil Young, le solitaire de Topanga, Camion Blanc, 2001.

Olivier Nuc, Neil Young, Librio, 2002.

Barney Hoskyns, Waiting For The Sun, Allia, 2004.



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