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mercredi 15 avril 2015
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par Giom le 22 novembre 2005
1968 ; 1 h 41. Existe uniquement en version originale anglaise.
1968. Alors qu’un vent de révolte progressiste secoue l’Europe entière, les cinq Rolling Stones sont enfermés dans leur studio londonien pour y enregistrer ce qui peut encore aujourd’hui être considéré comme leur œuvre maîtresse : Beggars Banquet, un sommet de blues rock comme il en existe peu.
Dans ces studios, le français Jean-Luc Godard, déjà mythique pour toute une génération de cinéphiles, traîne ses guêtres et sa caméra, filmant la création du miraculeux morceau Sympathy For The Devil qui ouvrira plus tard l’album et restera dans toutes les mémoires. Les Stones au travail, donc, à une époque où des tensions se font de plus en plus claires. Brian Jones y est complètement absent et on voit bien que ce sont Richards et Jagger les véritables âmes du combo. Pendant ce temps-là, Wyman, aux goûts vestimentaires très discutables (tout de rose vêtu) semble se faire royalement chier alors que Watts ne bouge pas de derrière ses fûts dans le fond de la salle, comme une présence fantomatique et en même temps nécessaire. On se rend également compte du travail et de la patience nécessaires pour qu’une base de qualité puisse amener un véritable morceau abouti. Il est en effet passionnant de suivre les différentes étapes de la création de ce titre et de voir les différentes directions qui auraient pu être prises et qui parfois auraient pu mener à un résultat final complètement différent (on est souvent très content que certaines aient été au final écartées).
Godard, toujours à la recherche du lien entre politique et création artistique, cherchant comme souvent pour sa part « à faire politiquement du cinéma », intercale les images de travail du groupe avec des scènes de la rue londonienne, parfois de révolte ou tout simplement d’expression du désir de voir les choses changer. Le réalisateur filme, par exemple, une étrange communauté noire masculine et armée où, tandis qu’un de ces représentants lit à haute voix un livre sur les origines de la musique afro-américaine, un autre caresse une femme blanche prisonnière et allongée dans la boue avant de l’envoyer se faire assassiner. En mettant en lien les deux espaces (la rue et le studio) on peut alors comprendre le message du réalisateur affirmant que la création peut et doit naître du chaos et de la crise de valeurs dépassées. À la fin du film, la réunion de tout le groupe (copines fashion comprises) autour d’un micro pour chanter les chœurs onomatopéiques du morceau le prouve, même dans un groupe aux tensions palpables, l’union reste possible pour engendrer la création (ceci n’est pas une métaphore facile). Et ce qui est possible pour une dizaine d’individus dans une salle peut sûrement l’être pour quelques milliards d’êtres humains, semble nous dire la personne derrière cette caméra. Godard, cinéaste moraliste ? On y arrive facilement en cherchant un peu.
One + One n’est maintenant plus qu’un film de ciné-club uniquement visionné par les fans de Godard ou des Stones qui parfois se recoupent. Il est parfois projeté dans quelques festivals consacrés aux années politiques du réalisateur comme ce fut le cas au Cinématographe de Nantes il y a bientôt trois ans. Ce relatif anonymat est bien dommage, car nous tenons là un documentaire esthétisé à l’extrême par la technique cinématographique propre au leader de la Nouvelle Vague et qui met implicitement en parallèle création artistique et utopie sociale. Un morceau, un film sont alors présentés comme des petits mondes construits par des êtres humains, aux êtres humains maintenant d’en construire un grand avec le même succès. Si c’est pas une question toujours d’actualité ça !
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