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mercredi 15 avril 2015
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par La Pèdre le 3 juillet 2013
La contingence fut assez incroyable et inattendue. Deux groupes cultes de la scène britannique de la fin des années 80, aujourd’hui à moitié dissouts, étaient pourtant de retour à Paris. C’est ainsi que les Stone Roses, comètes mancuniennes peinturlurées, sont passés le 3 et 4 juin à la Cigale, et My Bloody Valentine, sainte sirène indie, dans la foulée le 5 juin au Bataclan (en réalité, initialement prévu pour le 5 mai). Ce que l’on peut qualifier d’événement, du moins pour les amateurs trop complaisants que nous sommes, mériterait une mise en abyme, pour ne pas dire grossièrement une comparaison. Évidemment, se mesurer réellement aux prestations de groupes légendaires est toujours problématiques - surtout à Paris, ville si souvent escamotée par les tournées. Toujours la même question donc : en 2013, alors ?
Vingt-quatre
Dans ses premiers jours de chaleurs bouffantes parisiennes, nous nous attendons à deux concerts inespérés des Stone Roses, chantres d’une scène dorée, ressuscitée le temps de quelques secousses de cymbalettes. Prévus à la Cigale (et qu’on arrête de nous envoyer à l’odieux Zénith), avec ses moulures blanches et sa théâtralité désirable, les concerts ne pouvaient être décevants. Pourtant pendant la première partie, burnée et britannique, à qui on ne saurait jeter la pierre, le public se fait moribond. Les Stone Roses n’intéressaient-ils plus personne ? Mais tandis que les techniciens mettent en place la scène pour les mancuniens, le public se remplit et finit par constituer une belle foule compacte débordant à tous les balconnets. Et c’est donc sans attendre qu’arrivent nos garçons, avec le triomphant I Wanna Be Adored. L’enchanteresse escalade de pentatonique déclare la guerre rose : le public se jette en avant dans une euphorie que l’on manquerait bien de qualifier d’extatique, et à tout le monde de balancer sa bière (remplie) dans la foule – malgré son coût honteux, c’est dire l’ivresse. Le sol tremble sous le saut commun du public, contingence redoutable, car le houblon ayant tapissé le plancher, la glissade s’offre comme une claque. Les anglais (reconnaissables : torse nu, en bob) clament les textes par cœur, et suivent même les morceaux moins connus. Naviguant majestueusement dans le premier album, les Stone Roses décochent ici un Going Down inattendu, là un Standing Here magique (et sa deuxième partie douce comme un rêve) - et tant pis pour nos affriolantes blogueuses asiatiques, au balcon dans leurs tuniques de défilé, qui ne peuvent faire rien d’autres que d’afficher leur sempiternel sourire de grands salons.
Galvanisé par la pluie de cannelle, le public se tient fraternellement et se rue en avant lorsqu’un hymne est entamé (la plupart du temps, donc) – pendant que certains spectateurs préfèrent s’adonner au filmage intégral du concert avec leur téléphone, activité mystérieuse, masquant la vue à d’autres et trouvant toujours le moyen de se plaindre lors des bousculades.
Sur scène, Brown fait le pitre (des sortes de kata avec son micro, ses inénarrables pas de danse entre le singe et le smurf), Mani lui lance le défi de se tenir sur un pied tandis que Squire, avec son corps sec et ses cheveux vaillants, triomphe seul de son jeu sorcier. Pendant près de deux heures, ils ont vingt ans, cette pop intemporelle et mordorée leur offre jeunesse éternelle. En dieux juventins, les mancuniens sont magnanimes : quelques titres de Second Coming nous sont offerts, ainsi qu’un Fools Gold pas forcément très intéressant. This Is The One, hymne sentimental de Manchester United, est l’occasion d’une pâmoison générale avec son texte qui se télescope jusqu’à la fin. Qu’importe si Ian Brown chante parfois faux ? Il distribue les clins d’œil et offre ses jingle sticks, ne faiblit jamais dans sa chemise liberty et son baggy. Qu’importe la pyrotechnie naïve ? La performance ne se veut nullement spectaculaire. La fin se précipite, et le public salue en triomphe un groupe qui a été touché, un jour, par la grâce. Pourtant pas de rappel, pas de Sally Cinnamon nostalgique ou d’un I Wanna Be Adored conclusif. C’est en sortant, avec le sentiment d’un bonheur trop pressé, qu’on regrette ce concert étincelant - Paris les avait attendu 24 ans.
Only Shallow
Les dublinois ont la réputation interlope de frustrer leur public, et quand certains crient au génie, d’autres sortent surement énervés d’une prestation qui se joue d’eux. De fait, il est difficile de faire suivre My Bloody Valentine à la performance euphorique des Stone Roses. Néanmoins l’antre du Bataclan nous réconforte, et cette salle pleine de souvenirs nous promet quelques moments de rêverie inédite. En tout cas, il n’y a pas à attendre longtemps : sans première partie, le groupe débarque dans une sobriété choisie. Tous pratiquement vêtu de noir (la claviériste a osé le blanc), le regard fuyant, le concert démarre comme si de rien n’était. D’emblée le constat que le son n’est pas aussi fort que d’habitude est probant : quelques rigolos crient « on n’entend rien ! » (boutade qui deviendra exaspérante à sa onzième occurrence). Il est malheureux de revenir sur un débat qui a toujours senti la querelle de couvent : d’une part ceux qui préfèrent avoir un son relativement propre et pas seulement une guitare-baleine qui surnage en noyant tout, d’autre part les partisans de la nébuleuse sonique qui s’offusqueront en retour : « Quoi, propre ? Mais c’est une insulte ! ».
En tout état de cause, le public de My Bloody Valentine est par rapport à la veille plus immobile, introspectif et certainement plus intellectuel. Le spectateur danse dans sa tête (malgré l’éternel idiot qui s’essaye au pogo solitaire sur Loomer), la musique n’est plus donc une fête mais un voyage. D’ailleurs la pyrotechnie projette sur la scène des images vibrantes, plasmatiques ou magmatiques, noyant l’ensemble de la salle dans un univers intime. Mais seulement voilà, on peut apprécier la technique des musiciens et leur air appliqué (les morceaux sont parfaitement exécutés), tout en concédant que le concert se départit mal d’une certaine aridité. Si Colm Ó Cíosóig (qui ressemble sur scène à Jean-Luc Lemoine) assure derrière la batterie un travail dantesque, on ne saurait en dire autant de Bilinda Butcher qui gratte et chante, toujours la tête penchée, avec l’air ennuyé et condescendant d’une mère qui verrait son bambin déféquer dans ses dessous une fois de trop. Debbie Googe joue de profil, Kevin Shields est chassé dans le coin à côté de l’ingénieur du son. Rien d’étonnant dans l’attitude, et il ne faudrait pas s’en offusquer, mais serait-ce du philistinisme d’attendre d’avantage d’un groupe aujourd’hui légendaire ? Si la musique des dublinois a toujours demandé une certaine exigence esthétique, ne pouvait-on pas attendre du groupe qu’il fasse le bout de chemin nécessaire à la communion musicale ? On dira ce qu’on veut, il faudra bien coincer le plaisir quelque part. Enfin, la setlist est exhaustive, et enserre les morceaux de Isn’t Anything jusqu’à MBV (les amoureux d’Ecstasy and Wine, dont votre serviteur fait partie, ont abandonné sans espoir l’idée de le voir un jour jouer sur scène). Prévisible dans l’affectation, le groupe ne joue pas cette ballade magnifique qu’est Sometimes (parce que tout le monde l’attend), mais se livre à l’éternelle pitrerie finale : le pont de You Made Me Realise s’allonge d’un décollage sonique d’une demi-douzaine de minutes. Au bout, qui en a vu la grâce se manifeste. Le sentiment fait jour d’avoir assisté à une performance tout sauf spontanée, cherchant malgré la pose à se faire bien voir d’un public indulgent. Parce que le plus étonnant c’est qu’à la sortie tout le monde semblait satisfait, dans le plus pur contentement bourgeois.
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