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par Brice Tollemer le 14 avril 2008
Paru le 19 octobre 1993 (Epic).
« La pochette du disque représente un mouton, d’une ferme d’Hamilton, dans le Montana. L’image de cet animal pris dans les mailles d’un filet représente une partie de nous à cette période. Des esclaves ». Deux années se sont écoulées depuis la sortie de Ten et ses millions d’exemplaires vendus. Comme le souligne parfaitement Jeff Ament, Pearl Jam a depuis changé de statut. Seattle également. Le grunge est devenu un phénomène musical à part entière, bien que ce dernier soit plus un critère géographique qu’un genre proprement dit. Pearl Jam forme ainsi avec Nirvana, Soundgarden et Alice In Chains les Big Four de la scène de Seattle. Mais chaque groupe vit cette soudaine attention de manière différente. Et en 1993, la formation d’Eddie Vedder est sur la corde raide. Le succès fulgurant du premier album, la multi-diffusion jusqu’à l’overdose de Jeremy et de son clip, la fumeuse mise en rivalité avec Nirvana et l’érection de Vedder en porte-parole d’une introuvable génération X sont autant d’éléments qui fragilisent les certitudes et les illusions du groupe. Bien sûr, les concerts sont mémorables et les tournées s’enchaînent. Cependant, lors d’une date à Stockholm, le chanteur se fait dérober son cahier de notes personnelles dans les loges. La célébrité devient alors une pilule lourde à ingurgiter…
Au printemps de l’année 93, Pearl Jam s’installe donc dans la ville de Nicasio, en Californie, dans le but d’enregistrer un successeur à Ten. Dave Abbruzzese est le nouveau batteur du groupe, tandis que Brendan O’Brien se charge de produire le nouveau disque. L’endroit est idéal. Trop ? « VS fut sans conteste l’un des albums les moins plaisants à faire, de mon point de vue, précisera plus tard Eddie Vedder. Nous n’étions pas à Seattle et c’était comme être en tournée. Je ne me sentais pas à l’aise en ce lieu où nous étions car tout était fait pour que nous nous sentions justement à l’aise. Je n’aimais pas du tout ça ». La pression se fait en outre de plus en plus pressante sur les épaules du chanteur. Pearl Jam est attendu au tournant pour ce fameux « toujours-difficile-second-album » qui doit confirmer les promesses et les réussites de son prédécesseur. Durant ces sessions, Brendan O’Brien croit tenir le tube assuré avec Better Man, une chanson écrite par Vedder au temps de son premier groupe, Bad Radio. Mais le producteur a le malheur de faire part de ce sentiment au chanteur, qui fait la moue et qui n’est guère enchanté par cette perspective. Ce dernier envisage même de donner ce morceau pour un disque de charité en faveur de Greenpeace, avec un autre chanteur à sa place. Finalement, Better Man est mis de côté en attendant le prochain album…
Les tensions d’ordre artistiques ne sont pas les seules à s’exprimer durant l’enregistrement. Les relations entre Abbruzzese et Vedder sont pour le moins conflictuelles. Partageant de nombreux désaccords quant à l’acceptation du succès commercial et de ses retombées, le batteur et le chanteur ne sont véritablement pas sur la même longueur d’onde d’un point du vue plus « politique ». C’est ainsi que lorsqu’Abbruzzese se vante un jour d’avoir acheté deux pistolets, Vedder compose Glorified G, qui brocarde les détenteurs d’armes à feu et qui débute ainsi :
Got a gunFact I got twoThat’s okay man ’cause I love God
Les accrochages s’entendent également sur l’album même, notamment à la fin de Rearviewmirror, où l’on peut entendre Abbruzzese jeter de rage ses baguettes, après l’enregistrement houleux du morceau. C’est donc peu de dire VS est un album tendu. Go et Animal ouvrent furieusement la parade endiablée tandis que Daughter permet une balade aérée. Plus loin, Pearl Jam offre deux morceaux emblématiques de la richesse de composition du groupe et de sa diversité artistique. WMA (pour "White Male American") conjugue un texte fort sur les brutalités et le racisme ambiant de la police américaine et une rythmique de batterie pratiquement tribale. Blood est quant à lui une merveille d’énergie féroce et de rage incandescente, où Eddie Vedder hurle son aversion envers le cirque médiatique :
Spin me roundRoll me overFuckin’ circus
A peine le temps de se reposer que déboule Rearviewmirror, composition tellement emblématique de ce que peut être le style Pearl Jam, si tant est que l’on puisse en définir un. Finalement, VS se conclut par un Indifference de toute beauté, dans la douceur extrême du désespoir tranquille…
Originellement, l’album aurait du s’intituler Five Against One, formule tirée d’ Animal. Cependant, à la dernière minute, le groupe se ravise et le disque sort dans un premier temps sans aucune appellation, avant d’être finalement baptiser VS (pour versus). Pearl Jam est alors en lutte. En lutte contre les dérives du succès. En lutte contre ses propres démons. Plus tard, en lutte contre Ticketmaster et ses prix abusifs de places de concerts. En lutte pour sa survie, enfin.
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