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par Béatrice, Vyvy le 1er novembre 2011
L’amour, c’est bien connu, inspire. Il peut nous inspirer de grandes choses. Il peut aussi nous inspirer des grands n’importe quoi, parfois franchement savoureux. Quand le sujet de cet amour est un compositeur, ou qu’un compositeur a pour sujet l’amour, le dit n’importe quoi peut prendre des proportions gargantuesques et se perdre dans les méandres tortueux des métaphores et de leur bon dosage. Tout du moins peut-on dire que le songwriter amoureux est parfois en proie à de graves et bizarres problèmes d’identités (une métamorphose est si vite arrivée), et qu’il a souvent besoin, pour rendre pleinement justice à son amour forcément compliqué, d’aller chercher l’inspiration hors des sentiers battus de la bluette traditionnelle.
L’us et l’abus de métaphores et autres comparaisons capilotractées sont légions dans le rock (ici entendu au sens large) actuel. Cet article ne prétend donc pas faire le tour de la question, mais se propose de mettre en avant un phénomène menant à certains des textes les plus saugrenus de ces dernières années.
Commençons par le but d’un tel étalage : prouver l’étendue de ses sentiments, montrer qu’on est prêt à tout faire, à être tout pour l’être aimé. Qu’on se le dise, le compositeur est un être protéiforme... à plus d’un sens, nous allons le voir. En tant qu’individu, le compositeur doit faire face à la réalité de la concurrence : aujourd’hui, avoir une guitare dans la main ne suffit plus pour séduire, encore faut-il faire preuve d’un amour original - ou faire preuve originale d’un amour qui l’est moins -, chose forcément rendue plus difficile par l’empilement des chansons sur le thème.
A l’aune des chansons sélectionnées, certains compositeurs sont prêt à aller loin, très loin, pour démontrer leur amour, et leurs sentiments peuvent prendre des formes des plus inattendues. N’ayant que leurs mots et leurs mélodies comme outils de séduction, certains font preuve d’une dextérité sans pareille pour se transformer, à grand renfort de métaphores et autres figures de styles osées, en à peu près tout ce qui pourrait les rendre indispensable à l’élue de leur coeur.
Le doyen du lot, Leonard Cohen dans son I’m Your Man, reste plutôt sobre, se proposant de porter un masque, être partenaire de danse, se faire taper, boxer, jouer au docteur, conduire, ramper, hurler tel un chien en chaleur (sic), la laisser seule, voire d’être le père de son enfant. Rien, jusqu’à là de particulièrement anormal. Il se propose de faire beaucoup de choses, certes, mais nous restons dans le domaine du crédible, et soit, admettons, la femme moderne veut un homme couteau-suisse [1].
Domaine que l’on quitte, pour entrer dans le bucolique avec Barry Louis Posar et son All I Want is You. Cette rengaine rendue célèbre par la bande originale de Juno voit son compositeur s’imaginer en fleur, en arbre, en neige, en une gousse de haricot et, s’échappant de son champ - tant lexical que champêtre - de prédilection, un hochement de tête ou une carpette.
Mais ces grandes envolées lyriques ne sont pas recherchées par tous. L’amour, prenez-en de la graine, n’a pas besoin de faire appel aux montagnes, torrents ou fleurs pour être déclamé, et certains parviennent à le loger dans les recoins les plus banalement quotidiens de leur environnement. La métaphore se fait ainsi beaucoup plus prosaïque et terre-à-terre avec Fionn Regan dans un titre, Coat Hook, qui annonce bien la couleur. Fionn Regan demande donc à sa mie de lui laisser prouver son amour, en le laissant devenir son porte-manteau (après tout, on a toujours besoin de porte-manteau), son Fedora [2] gris perle (là, on touche au bizarre, personnellement je ne pense pas que Fionn fasse un très bon chapeau), sa pilule écrasée, sa lumière rouge, ou sa clôture. Fionn, en amour, fait dans le pratique et ne demande pas mieux que d’incarner le bataillon des éléments les plus ignorés du quotidien de sa belle.
Conor Oberst, quant à lui, fait dans le bizarre, à la limite du stalker à première vue. Dans une vision très médicale et hygiéniste de l’amour, il se rêve en refuge ultime et voudrait être tout à la fois la douche qui la réveille et la lave, la maison qui l’a vue grandir, havre de confort et de sécurité, et bien évidemment le chirurgien qui répare les erreurs de la vie. Tout cela avant de regretter de n’être que “le vent contre sa fenêtre” pendant une nuit hivernale, cloîtré à l’extérieur sans espoir d’être écouté, et de comparer une construction commune (qu’on peut supposer être le couple, donc supposons allégrement) à un bateau dans une bouteille de vin, dont la magie vient de ce qu’on ne comprend pas comment il est arrivé là. Et, après avoir parlé de bactérie, il dégaine la phrase qui tue : The worm in my heart is the apple of your eye. Ce pourrait être classe, si on ne sentait à plein nez les relents d’une phase emo qu’on espérait dépassée.
On ne peut au passage s’empêcher de mentionner Nick Drake, qui, dans One of These Things First, mélange allégrement tous ces registres, de la bouilloire à l’amant en passant par le pilier, le livre, l’horloge, un rocher, une porte, une flûte et toute une panoplie de métiers (marin, cuisinier, etc.) ; bref, beaucoup de choses. On ne sait pas trop bien si Nick Drake cherche à séduire une demoiselle ou se contente de passer en revue tout ce qu’il aurait pu/pourrait être mais ne sait pas comment être ; quoi qu’il en soit, dans l’ensemble de ces choses qu’il n’est pas, il y a un amoureux fidèle et tranquille, compagnon d’une longue vie.
Leur verve, on l’a vu, emmène parfois nos chers singers-songwriters loin... si loin que certains d’entre eux n’hésitent pas à laisser déborder leur métaphores. Ce ne sont plus eux qui en sont les seules cibles, et on le sais depuis l’amoureuse “corbeau à l’aile cassée à ma fenêtre” du Love Minus Zero/No Limits, ces dames (ou autre) en font aussi les frais. L’exemple le plus frappant en est All I Want is You, qui fonctionne sur des binômes : si tu étais ça, je serais ci, si j’étais ça, je voudrais que tu sois ci. Il se voit en fleur, elle en abeille, elle en montagne, lui en neige. Après tout, pourquoi pas, ça fait un “projet de couple” intéressant, fondé sur la complémentarité, même si le duo carpette/parquet n’a pas l’air des plus romantiques [3]. Là ou certains débordent, d’autres imposent. Ainsi, alors que Nick parle dans un conditionnel passé - donc d’un amour qui reste irééalisé en dépit de ses jolie métaphores, que Barry Louis est tout plein de si et de “would”, que Fionn demande poliment la permission, et que Cohen se plie aux désirs de l’objet de son désir à lui, Conor lui veut, et y va franco - mais on n’est pas sûr qu’il obtienne.
Face à cette avalanche de métaphores, on est en droit de se poser la question suivante : et tout ça, pour quoi ? Que cherchent vraiment les personnages mis en scène dans ces paroles ? Côté Cohen, rien de plus clair, il veut regagner le coeur de sa mie (ainsi geint-il ah but a man never got his woman back/ not by crawling on his knee). Barry Louis veut qu’on l’épouse et lui prenne la main. Le texte de Conor Oberst, et ce malgré plusieurs lectures, dédaigne révéler quelque chose d’aussi trivial et bourgeois qu’un but, mais semble globalement lutter avec l’impossibilité de construire un amour aussi sain, pur, évident et libéré de tous secrets, angoisses ou mystères qu’il ne l’avait rêvé [4]. Enfin, Fionn, qui, il est vrai, a la métaphore facile [5], souhaite que l’objet de sa flamme “porte son enfant de l’autre côté du péage” (You can carry my baby over the turnpike) [6]. Soit, après tout, qu’est ce qui empêche les infrastructures autoroutières de jouer leur rôle dans cette affaire ?
Au delà de leurs styles, instrumentations, rythmes, foncièrement différents - chaloupe eighties mode crooner pour Cohen, tremblement émo à écho pour Oberst, ballade mélancolique pour Drake, bluette country-pop pour Barry Louis, ou en encore néo-folk entrainant pour Regan, ces chansons dialoguent entre elles, démontrant encore et encore le poids des paroles dans une expérience auditive. Les paroles de ces quelques chansons, ici singularisées par l’usage non-conformiste voire décadent de la métaphore tordue et inattendue, sont la preuve s’il en fallait que les songwriters fantasques ne parviendront jamais à bout des possibilité de conférer un peu d’originalité et de bizarreries à leur balades pourtant a priori toutes bêtes (et pourtant, ils essayent !). Au pire, cela reste un prétexte à se laisser aller à des divagations comparables, ce qui ne se refuse pas. On leur pardonnera donc ces fantaisies stylistiques parfois drôles, parfois douteuses, en se rappelant tout ce que Dylan a fait subir à sa Sad-eyed Lady of the Lowlands, et qui justifie bien que ces messieurs se métamorphosent à leur tour.
[1] Car à Inside aussi, nous sommes capables de faire des métaphores incongrues.
[2] Oui, oui, comme Indy.
[3] Mais si, mais si, c’est une vraie proximité, et cela signifie qu’il n’aurait pas peur d’être au plus bas si c’était avec sa bien-aimée, ce qui est très romantique.
[4] ou pas
[5] De sa personnification en “vue aérienne d’une ville côtière” sur son premier album à son “tu es le Lake District” du dernier, le monsieur est coutumier des associations déconcertantes.
[6] Très élégante périphrase pour évoquer l’accouchement, serait-on tenté de glisser, mais ceci reste une hypothèse fantaisiste.
Vos commentaires
# Le 1er novembre 2011 à 19:27, par Céline Bé En réponse à : Laisse-moi être ton portemanteau
# Le 1er novembre 2011 à 19:39, par Céline Bé En réponse à : Laisse-moi être ton portemanteau
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